Partie 120 : l'histoire des enfants Techs

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» Le pauvre... S'il avait su ce qui l'attendait, je crois qu'il aurait gardé son secret pour lui.

— Qu'est-ce qui l'attendait ? demande Sanx.

— Raconte la suite, 1. À partir de maintenant, c'est ton histoire. Et celle des autres.

— Ça n'a pas d'importance pour comprendre ce qui s'est passé, proteste 1.

— Raconte, insiste Milley. Pour tous ceux ici qui ne savent pas. Eux en ont besoin pour comprendre.

— On m'a testé.

— Comment ça, testé ? insiste Sanx.

— On a fait des expériences. D'autres expériences. Sur... sur mes différentes capacités. Avec le Réseau. Avec les objets techs. Selon la matière. Selon l'intérêt que j'avais. Par exemple, il y avait... Il y avait une peluche marrante en tech qu'ils avaient fait acheter à l'extérieur, c'était plus simple que de la fabriquer, même avec leur matériel, et elle est devenue mon jouet préféré, et je devais la retrouver malgré les obstacles.

— Je m'en souviens ! s'exclame 4. C'était Bolwie !

2 rit en précisant :

— Je crois qu'on a tous joué avec Bolwie ! Ils nous le planquaient dans des endroits impossibles !

— Le pire, se rappelle 5, c'était dans la cage.

— C'est sûr ! dit 1. Avec le courant électrique.

— Et encore, les plus grands nous ont donné le truc pour le récupérer sans se prendre le jus, parce que sinon...

— Oui, au début on a eu du mal. Le code était sacrément tordu.

— On a commencé en trichant, rappelle 2, c'était plus facile de truquer les appareils qui alimentaient la cage que de sauver Bolwie !

— Et les programmes d'ordinateur, dit 3, ça c'était dur.

— Ils voulaient qu'on leur explique.

— C'est complètement impossible ! Les programmes, ça ne s'explique pas si on n'est pas dedans !

— Et l'hypnose, dit 2, ça n'était pas une partie de plaisir non plus...

— Il n'y a que 1 et 2 qui en ont eu, précise 3, après ils ont arrêtés.

— Moi, dit 4, j'aimais bien les images.

— Oui ! Et les constructions aussi !

— Quand il fallait fabriquer quelque chose, c'était chouette, même quand c'était fatigant.

— Les cours, des fois, c'était difficile.

— Sauf quand 1 et 2 nous donnaient les réponses !

— Moi j'aimais bien les cours de combat.

— Mais pas quand il fallait essayer les piqûres !

— Ça non, les piqûres c'étaient l'horreur !

— Surtout les rêves qu'on faisait après.

— Et les épreuves qu'on faisait après !

— Les cubes avaient l'air déformés...

— L'air était tout gluant...

— Et il avait un goût dégueulasse !

Ils rient, les Techs, en évoquant à voix haute ce qu'ils ont l'habitude de partager mentalement, en retrouvant leurs souvenirs. Ils savent en théorie ce qu'est une enfance normale et se doutent bien que la leur ne l'était absolument pas, mais ils ne la jugent pas. Ils regrettent de ne pas avoir eu l'occasion de quitter l'île et de découvrir le monde plus tôt. À part ça, les mauvais moments ont été des mauvais moments, comme tout le monde en connaît sans doute, et ils ne leur ont pas été infligés pour leur faire du mal, ils étaient nécessaires. Nécessaires pour quoi, ce n'est pas encore tout à fait clair, et ça n'a pas d'importance. Ils ont aussi vécu de bons moments. Ils pourraient passer des heures à échanger des anecdotes, mais ce n'est pas tellement le lieu et ce n'est absolument pas le temps pour ça. Ils se taisent.

Et réalisent que les humains ont l'air horrifiés par ce qu'ils viennent d'entendre.

— Non mais ça allait, précise timidement 1, la plupart du temps on était très bien... et puis on a fait ce qui était nécessaire, même si ce n'était pas toujours drôle.

— Vous étiez des enfants, dit d'une voix sourde Choy.

— Peut-être. Mais on le leur devait.

— Vous leur deviez ? explose Sanx. N'importe quoi ! Personne n'a à faire subir ça à des gosses, bordel !

— Je sais, dit calmement Milley.

Les Techs ne savent pas trop quoi faire de cet aveu qu'ils n'ont pas demandé. 3 pose timidement sa main sur le bras du professeur, qui lui sourit. Josh intervient :

— Désolé s'il y a encore un truc que je n'ai pas compris, mais... les morts, là-haut... qu'est-ce qu'il s'est passé ?

— Il y a eu pas mal de changements dans le personnel du Laboratoire, raconte Milley. Il était pourtant classé secret défense. Il y a eu de moins en moins de gens travaillant pour l'Alliance et de plus en plus pour la SRAM. Ils n'ont pas osé réclamer directement la propriété de nos Techs humains. À la base, ce n'était pas leur projet. Ils se contentaient de prendre leurs précautions pour que tous les bénéfices potentiels qu'on pourrait tirer d'eux leur reviennent. Et bien sûr pour que nous fassions le maximum pour qu'ils génèrent ces bénéfices. En même temps, l'Alliance restait sur son idée de soldats. Le projet a reçu un regain de popularité quand ils ont su que nos petits Techs étaient télépathes, puis c'est retombé, et ils ont commencé à se méfier. La SRAM se méfiait aussi. Et pendant ce temps-là, Edmund plaçait ses billes. Tout notre travail scientifique était clair, mais le reste était très confus. J'ai essayé d'apprendre aux enfants de quoi se débrouiller une fois dehors et j'ai réussi à retarder leur sortie petit à petit. Et pas mal de gens dans le laboratoire ne recevaient pas leurs ordres de moi... Au final leur éducation a été très inégale selon les périodes. Heureusement qu'ils ont pu se transmettre leurs connaissances les uns aux autres.

— Mais qui vous a attaqué ?

— Il y a eu trop de mouvements, c'est ça que j'essaye de vous expliquer, et à force de chercher à se protéger de leurs rivaux, les grands manipulateurs ont oublié de faire attention au simple quidam... Il y a eu une fuite, suffisamment importante pour effrayer quelques clampins pseudo-militaires qui se sont monté la tête et nous ont attaqués pour sauver la démocratie de nos soi-disant armes techs toutes-puissantes. Le grain de sable qui finit par gripper les machines les mieux huilées, je suppose, si ce n'est que ce grain-là avait la taille d'un sacré caillou.

— Oui, approuve M. Edmund, c'était un très fâcheux contretemps. Juste quand ils commençaient à être prêts. Heureusement, même séparés, la procédure a pu continuer son cours.

— Quelle procédure ? demande 1 avec un frisson.

— La maturation, si tu préfères...

— La maturation de quoi ? De nous ?

— C'est un peu ça... il fallait que vos esprits techs soient assez développés pour être utilisés. Et finalement, ces petites balades n'ont pas été totalement inutiles.

L'homme de l'ombre prend un malin plaisir à faire durer le suspens et 2 doit se retenir pour ne pas le secouer comme un prunier jusqu'à ce qu'il ait enfin craché ce qu'il savait. D'ailleurs, pourquoi est-ce qu'elle se retient ? Pourquoi ne pas écraser leur ennemi et redéfinir le jeu selon leurs propres règles ?

Pour 7, bien sûr.

Le produit arrivé à maturation...

Ses poings se serrent. Ceux de 1, de 3 et de 5 aussi. Leurs émotions se communiquent plus vite, ils n'ont pas installé de barrières mentales entre eux. Et ils s'apprêtent à envoyer une bonne fois pour toutes un poing ou même deux dans la figure de M. Edmund, juste pour la beauté du geste, quand la soldate lève son arme vers eux. Arme non-tech. Ils pourraient s'en emparer à eux sept — 1 pourrait peut-être même rééditer son exploit de l'aéroport et utiliser le fil du Réseau contre elle — mais les risques d'être blessés sont trop grands. Une meilleure occasion se présentera. Ils se regardent tous un certain temps en chiens de faïence quand enfin le soldat aux ordinateurs dit :

— C'est bon. C'est ouvert.

Les Techs - Tome 1 : les secrets du LaboratoireWhere stories live. Discover now