XXVI-Ensemble

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Le prêtre continuait sa lecture malgré la bruine qui commençait à tomber. Je n'avais été absorbé que très peu de temps par mes pensées, mais cela me sembla durer une éternité, tout comme ces dernières semaines m'avaient paru durer une vie entière.

Bien que je sentais sa tristesse, je me retournai une seconde fois pour regarder Abi. Ses larmes je les connaissaient, je les avaient déjà vu, plusieurs mois auparavant, dans des circonstances similaires. Mais à cette époque, je m'y étais impliqué volontairement alors qu'aujourd'hui, je les subissais. Sa douleur, je la reconnaissais. Elle m'avait ressuscité à ce moment là. Maintenant, elle m'enterrait vivant.

Je me retournai faisant face à mon ange. On y avait déposé une couronne de fleurs sur laquelle un ruban de satin ocre portait l'inscription suivante :

CUSTO ANGELUS*(*ange gardien)

JE TE DOIS LA VIE

Nul doute qu'elle provenait d'Abi cependant la lucidité de ces mots me frappa. Je n'avais pas soupçonné une telle clairvoyance de sa part.

A la façon dont Nathaniel me dévisageait, je devinais qu'il avait suivi la rétrospective de cette dernière année avec beaucoup de curiosité. Cependant, je n'y prêtai aucune attention et reportai mon esprit à la cérémonie qui touchait à sa fin.

Après avoir répondu brièvement aux condoléances exprimées par quelques proches, je me retrouvais seul sous une pluie battante. Je ne sais combien de temps je suis resté debout face à mon ange, mes pensées aussi vides que mon regard. L'arrivée d'Irina et de Natasha me ramena à la réalité. Elles m'escortèrent jusqu'à la maison.

En rejoignant mon bureau, je sus que tout était fini. Je réalisais que plus jamais je ne verrais Elisabeth, que plus jamais je ne pourrais la toucher, l'embrasser, la serrer contre moi. Cette réalité me fit mal mais je la savais nécessaire. Aujourd'hui c'était à moi de faire mon deuil. Pour cela, il me restait une dernière chose à faire. Pour Elisabeth.

Je descendis dans le salon. Irina s'approcha de moi :

-Je suis d'accord, je viens avec toi.

-Moi aussi. Me lança Nathaniel de l'autre bout de la pièce.

Se tournant vers Nathaniel, Natasha demanda :

-Tu peux nous expliquer.

-Je voudrais enterrer son fils avec elle.

Je n'eus pas besoin de préciser de qui je parlais. Tous avaient la même personne à l'esprit : Elisabeth.

-Nous venons avec toi. Renchérit Irina.

-Vous n'avez pas besoin de tous venir.

-Oui mais nous voulons tous venir. Répondit Thï.

-OK. Faisons le ce soir.

Nous prîmes tous la route du cimetière dans lequel je m'étais retrouvé quelques mois plus tôt en compagnie d'Elisabeth. L'emplacement de la tombe fût facile à retrouver. Et sans avoir besoin d'allumer une torche, nous creusâmes jusqu'à atteindre le petit cercueil. Il fallu l'extirper du ventre de la terre avec précaution car il n'était plus en très bon état. Néanmoins, il se retrouva rapidement à l'arrière de la jeep de Donatien.

-Partez devant, je vous rejoindrai. Leur dis-je en montant dans ma voiture.

-Où va-t-il? Demanda Donatien à Irina.

-Acheter un cadeau.

Il me fallu parcourir quelques centaines de kilomètres afin de trouver un supermarché ouvert 24h/24. Mais finalement, je mis la main sur le présent que je cherchais.

Arrivé à la maison, tous m'attendaient autour du trou qu'ils avaient creusé à gauche de la tombe d'Elisabeth.

-Nous avons déposé le cercueil à l'intérieur mais nous attendions pour recouvrir le trou.M'annonça Irina.

-Vous avez bien fait.

Solennellement, je me postai au-dessus du trou serrant dans mes mains un ourson en peluche.

-Il y a quelques mois, votre mère, Elisabeth ...

Son prénom s'étrangla dans ma gorge. C'était la première fois depuis le jour de sa disparition que je l'évoquais à voix haute.

-Veux-tu que je continue? Me murmura Nathaniel.

Je secouais vivement la tête et repris la parole :

-Elisabeth m'a amené, pour la première fois, devant cette sépulture afin que son fils et moi puissions faire connaissance. Cette démarche pourra peut être vous sembler ridicule mais elle m'a remplie de joie et de fierté. Avant de partir, elle lui avait promis de revenir avec un ours en peluche. Aujourd'hui, même s'ils sont enfin réunis, j'honore la promesse que ma femme, votre mère lui a faite.

Je déposai un baiser sur le front de l'ourson et descendis dans le trou pour le placer sur le cercueil.

-Rends lui mon baiser et dis lui bien qu'elle sera toujours dans mon cœur.

Un bond me suffit à sortir pour me retrouver parmi les vivants. L'ourson fut vite recouvert et la stèle récupérée dans le cimetière repris sa place au dessus de la petite tombe. Afin de ne pas éveiller les soupçons des curieux qui pourraient s'aventurer jusqu'ici, nous avions pris soin d'effacer les dates. Seuls restaient son nom et la phrase d'Elisabeth.

Cette fois, je fus le premier à quitter les lieux. Même si sur le coup je n'en avais pas conscience, je venais de franchir une gigantesque étape. Maintenant, il fallait que j'aille de l'avant : reprendre mon travail afin de retrouver un semblant d'équilibre.

Une éternitéWhere stories live. Discover now