XXI-Deuil

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Elle refusa ma proposition de lui tenir compagnie et referma sa porte en m'évinçant de son chagrin. Elle glissa le long du mur et s'effondra sur le sol en pleurant. La douleur était telle que les sanglots ne suffirent pas à extérioriser la souffrance qui s'était emparée de son corps alors les cris suivirent puis ses mains agrippèrent sa chevelure comme pour l'arracher de sa tête.

Mais son cœur était toujours au supplice.

Ses poings heurtèrent violemment le sol puis le mur. Avec toujours plus de force, elle se faisait mal mais jamais assez. Dans un ultime assaut contre la paroi de briques, j'entendis les os de sa main se briser. La douleur transperça mon squelette comme le cri de torture d'Abi transperça la nuit. J'étais au milieu de la rue prêt à intervenir, lorsque mon téléphone retentit. C'était Elisabeth, Irina l'avait prévenu de mon intention d'intervenir.

-Ce n'est pas une bonne idée, tu vas nous mettre en danger.

Je savais qu'elle avait raison, comment expliquerais-je ma venue en pleine nuit. Abi ne comprendrait pas et poserait plus de questions que le nombre de réponses que je pouvais lui apporter.

-Elle va se sentir surveillée. Son chagrin lui appartient, nous ne pouvons pas l'aider ainsi. D'ailleurs d'après Irina ça ne l'aidera pas, au contraire, ça la poussera à agir.

-Tu as raison, ce n'est pas la bonne solution.

Je raccrochais alors que j'avais déjà repris ma place à la lisière de la forêt. Je tendis l'oreille afin d'imaginer ce qu'elle faisait. Dans la cuisine, l'eau coulait anesthésiant la blessure. Elle claqua quelques placards puis trouva ce qu'elle cherchait. Une nouvelle fois la douleur failli me faire tanguer sur mes 2 pieds. Le bruit d'une bande qui se déroule me parvint. Elle devait immobiliser ses doigts. Je l'entendais respirer fort et râler entre ses mâchoires serrées. Elle attrapa un tube de médicaments et en avala quelques uns.

Combien?

Je ne savais pas?

Elle saisit une seconde boîte, les pilules tintèrent dans le pot au moment où elle les engouffra au fond de sa gorge.

Qu'avait-elle pris?

Elle s'allongea dans le canapé et sa respiration devint plus lente. La douleur se faisait moins insistante.

J'attendis qu'elle soit totalement endormie et pénétrai doucement dans la maison. La première chose qui attira mon regard fut les 2 boîtes posées sur le plan de travail de la cuisine. Je saisis la première : du paracétamol. Rien à craindre de ce côté là. La seconde était les somnifères que je lui avais prescrit à sa sortie d'hôpital. Rapidement, je vidai son contenu sur la table et entrepris de les compter afin de m'assurer du nombre de cachets qu'elle avait absorbé. Il n'en manquait qu'un. Elle passerait juste une bonne nuit. J'étais de nouveau serein. En l'apercevant dormir, je m'attardai sur le bandage qu'elle s'était fait. Il n'était pas parfait mais lui permettrait de guérir rapidement. Rassuré, je décidai de regagner la maison.

Même pour un vampire, la journée avait été éprouvante. J'avais besoin de fuir les sentiments d'Abi car même endormie, elle continuait d'irradier de tristesse. Elisabeth me manquait beaucoup, nous n'avions passé que très peu de temps ensemble ces dernières semaines.

Arrivé à la maison, Nathaniel me lança un regard noir et je m'aperçus que mes idées étaient aussi noires que l'était son regard. Je m'excusai et passai mon chemin. Enlacer Elisabeth fut d'un grand réconfort et chassa en un instant la tension accumulée dans la journée. Nous nous installâmes confortablement dans notre chambre afin d'échanger nos ressentis sur les évènements de ces dernières semaines.

Elisabeth fût bouleversée par mon récit de la cérémonie et je m'aperçus que cette femme et son histoire lui tenaient à cœur car elle reflétait son propre passé. Une histoire qui avait eu raison de son existence en tant qu'humaine. Nous nous sentions tous les deux impuissants face à la détresse d'Abi. Même si tous nous encourageaient, seule Elisabeth comprenait mon acharnement à conserver cette femme en vie.

Pensant qu'Abi serait assommée par le somnifère de la veille, j'arrivai tard dans la matinée pour reprendre mon poste de surveillance. Aucun bruit n'était perceptible dans la maison, aucune de ses émotions n'alourdissait mon âme déjà si torturée. Si mon cœur battait, il se serait sûrement arrêté. J'allais pénétrer dans la maison lorsque je sentis la vibration de mon portable, je pensais ne pas répondre mais il s'agissait d'Irina.

-Que se passe-t-il?

-Ne t'inquiète pas, elle est partie courir. Tu devrais l'apercevoir au bout de la rue dans 30 secondes. Alors un conseil, retourne te cacher.

-Ok répondis-je d'une voix bougonne.

Effectivement, 30 secondes plus tard, elle entra dans mon champ de vision courant aussi vite que lui permettait sa main brisée. Et comme à son habitude, elle transportait avec elle son fardeau d'émotions humaines. J'étais tapi dans l'ombre attendant qu'elle rentre chez elle.

Après l'effort qu'elle venait de faire endurer à son corps, elle s'assoupit sur le sofa. Elle pensait sûrement que l'exercice physique l'aiderait à évacuer ses douleurs mais le revers de la médaille la terrassa avant même qu'elle ne se réveille. Son sommeil fut agité. Sa respiration devint haletante et son corps se débattit frénétiquement contre celui qui était devenu son plus proche ennemi : le chagrin. La douleur infligée par ses songes, lui fit rouvrir les yeux sur une réalité qui était encore plus dure à supporter. Elle resta prostrée plusieurs heures et ne récupéra pas la nourriture que j'avais déposée sur le pas de sa porte. La nuit s'achevait et il me fallut retourner à l'hôpital pour retrouver mes patients.

Une éternitéWhere stories live. Discover now