1 (a). Frédérique

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Frédérique V.

Courrier reçu le 2 septembre 2008
accompagné d'un post-it sur lequel était écrit :

Chère Mary,
Voici mon ressenti de l'été 98 aux Beaux-Lacs.
En espérant que ça réponde à ta demande.
Bon courage pour ton étude.
A la revoyure,
Fred


Tout autour de moi, c'est la foule, le brouhaha. En plus du bruit assourdissant des marteaux piqueurs qui agrandissent cette partie de l'aéroport Charles de Gaulle, ça fourmille, ça grouille, ça s'agite dans un vacarme effroyable. Mon gros sac à dos enfin posé sur un chariot, je slalome dans ce terminal hyper mal foutu, noyée au milieu d'un banc de vacanciers excités, à la recherche de l'entrée de la zone d'enregistrement de mon vol. Ici, la copie conforme de Tatie Danielle demande affolée à l'agent de sécurité si sa Pépette, le chihuahua roux qu'elle serre très fort dans ses bras, aura une place près d'elle, mais pas à côté du hublot car elle a des aigreurs d'estomac en ce moment. Là, Papi-moustache, casquette vissée sur la tête et sac de cuir en bandoulière, s'étonne auprès d'une hôtesse que le panneau d'affichage des arrivées ne mentionne pas encore les informations du vol de Marrakech où sa fille, qui est pharmacienne, excusez-moi du peu, vient de passer une semaine de séminaire. Ailleurs, Madame Chapeau-à-plume s'énerve toute seule, mais bien fort pour en faire profiter tout le monde, devant un guichet fermé qui aurait du être ouvert : il est quand même 9h30 voyons !

Alors que j'arrive enfin à me frayer un passage jusqu'à la file d'attente de l'enregistrement de mon vol, file qui s'agrandit d'ailleurs en un clin d'œil, un gros monsieur transpirant, chemise laissant dépasser son ventre proéminent, banane serrée sous sa taille et duo chaussettes-sandales, accompagné de sa femme engoncée dans une robe trop décolletée et puant l'excès de parfum Nina Ricci, et de deux valises gigantesques débordant de son chariot, bouscule tout le monde pour être le premier devant le guichet. J'adore ! J'ai chaud (je rêve ou ils ont débranché la climatisation ?), je suis fatiguée (j'aurais pas dû me coucher à 5 heures du matin), j'ai un peu mal à la tête (j'aurais dû moins boire, c'est ce que je me dis à chaque fois), mais là, malgré tout, je suis contente et même pas exaspérée.

C'est que sur l'écran au dessus du comptoir, il est écrit ces mots magiques : QUEBEC / MONTREAL.


Le Boeing 747 s'élance, prend de la vitesse et s'arrache enfin du sol. Même pas peur. Je regarde par le hublot et à travers les filets de nuages qui défilent et masquent déjà les immeubles tout petits en bas, j'aperçois mon reflet qui sourit : ça y est, on peut dire que c'est ici que ça commence.

Bon, maintenant, il va falloir essayer de dormir.


Après six heures de vol pendant lesquels j'ai préféré regarder le beau Leonardo di Caprio dans Titanic devant le tout petit écran au plafond que dormir (Titanic au-dessus de l'Atlantique, quelle merveilleuse idée !), j'ai récupéré mon sac qui me paraissait bien lourd et, toute fière du tampon IMMIGRATION CANADA ADMISSION : 29 JUN 1998 sur mon passeport tout neuf, j'ai fait mes premiers pas sur le sol américain à la recherche du bus pour la gare routière de Québec.

Enfin, sur le bitume du sol américain.

Et sous le soleil canadien. Il était autour de midi et il faisait encore plus chaud qu'en France, c'est-à-dire plus de 35°C. Grosse surprise pour moi qui m'imaginais bêtement ce pays sous la neige même en été.


Arrivée à la gare routière presque congelée dans le bus climatisé, j'ai sauté dans le car qui partait vers le nord-ouest pour un peu moins de cinq heures de trajet.

Cinq heures d'avant-goût de l'état d'esprit américain. A croire qu'en venant dans ce nouveau monde, les premiers colons ont délibérément choisi de se débarrasser des tabous. En France, dans un car ou pire dans un train, les gens ne se parlent pas entre eux. A peine s'ils se regardent.

Et pendant ce temps-là, à Tapachula (mon été dans les bois)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant