-Nyame Dua, je commence alors qu'il pose ses lèvres sur le tatouage. Littéralement ça veut dire l'arbre de dieu. Le symbole représente la présence et la protection de dieu, il est gravé par les akans une ethnie du Ghana sur un arbre, le Nyame Dua, c'est l'endroit sacré où sont pratiqués les rituels notamment de purification.

-Donc ta hanche est un endroit sacré ? il se moque doucement de moi.

-Pas juste ma hanche, tout mon corps, je réponds alors qu'il continue à le couvrir de baiser. Je l'ai fait faire à un moment dans vie où j'avais besoin d'un renouveau, corps et esprit.

Il pose doucement ses lèvres contre les miens. La sensation est tellement agréable, que j'ai du mal à croire qu'elle est réelle.

-Le même moment où tu as commencé à méditer ? je secoue positivement la tête. Tu me raconteras un jour ?

-Yep, mais pas aujourd'hui.

-Et celui-ci, il demande en posant ses doigts sur mes côtes, du côté gauche de mon corps

-Ça c'est une valkyrie, l'œil au-dessus représente Odin, ses doigts sur ma peau me font des chatouilles. Trois heures de douleur, j'ai cru que ça allé me tuer. Mais je regrette pas.

-Si c'est si douloureux, pourquoi est-ce que tu te fais tatouer.

C'est une bonne question. Marquer son corps de façon définitive ce n'est pas un acte anodin, contrairement à ce que les gens de télé-réalité veulent nous faire croire. Il faut prendre son temps, choisir le bon endroit, le bon motif et surtout la bonne personne pour le faire. Mais je me plais à me considérer comme quelqu'un de constant, donc le caractère définitif de la chose ne m'a jamais effrayé bien au contraire.

Le regard que porte Ken sur moi, m'indique qu'il attend une véritable réponse de ma part. Pas la réponse formatée que je sors habituellement lorsqu'on me pose la question. Et puis je sais pas, il y a quelque chose dans la manière dont ses doigts glissent sur le tatouage qui me pousse à me confier à lui.

-Plus jeune j'étais dans une école privé catholique, le genre d'école où t'as au choix un noir ou un arabe par classe. Quand t'es enfant, tu te rends pas forcément compte des différences. Jusqu'au jour où tu découvres que t'es différent, dans mon cas que t'es noire. Je me souviens comme si c'était hier. Il y avais cette fille avec de long cheveux blond et des yeux bleus. Elle a refusé de me tenir la main parce que j'étais noire. Je lui ai dit que j'allais le dire à mon papa et elle m'a répondu que c'était pas mon papa parce qu'il était blanc comme elle et pas noir comme moi, je me tourne sur le côté pour lui faire totalement face. Le jour où j'ai appris que j'étais noire c'est aussi le jour où j'ai compris que mon père n'est pas mon père. Je crois qu'en un sens le fais de ne pas lui ressembler, de ne ressembler à personne en faite ça m'a marqué et que d'une certaine manière, j'ai eu envie ou plutôt besoin de faire de mon corps, mon corps.

-Tu parles jamais autant de toi.

-Crois-moi, je parle beaucoup moi, je fais un signe en direction de mon corps. Des heures et des heures de psychothérapie, je suis une peu ding dong là-dedans, je finis en tapotant l'une de mes tempes.

-Non, t'es incroyable, il replace mon doigt par sa main sur mon visage.

Il dit la vérité. Non pas que je sois incroyable, mais il pense réellement que je le suis. Je me sens mal. J'ai l'impression de lui mentir, de pas être honnête avec lui. C'est pas juste une impression. Ne rien lui dire à propros de Chris, de ma tentative de suicide, se sont des mensonges. Je me sens pas prête. Et puis si je le fais, il va s'enfuir tellement vite que se sera comme si il n'avait jamais été là. Je pourrais même pas lui en vouloir.

-C'est pour ça que tous les mecs du crew te kiffent. Surtout Mekra, tu lui plais.

Son visage se durcit lorsqu'il prononce le blaze de son ami. Je sais où il veut en venir. Je sais aussi qu'on doit en parler. Mais je ne pensais pas que se serait maintenant. Où plutôt, je n'ai pas envie de le faire maintenant.

-Tu veux vraiment en parler maintenant ?

Il se retourne pour s'allonger sur le dos et se pince l'arrête du nez. J'en profite pour poser la main sur son torse. Comme pour le rassurer. Je ne suis pas la seule à cacher des trucs. On n'en arrive pas au niveau de jalousie où Ken est sans qu'il se soit passé quelque chose avant. Je ne veux pas lui mettre la pression pour savoir, je ne suis même pas sûr d'avoir envie de savoir. Mais je ne veux pas qu'il ait des doutes sur moi. Pas alors qu'il est le seul que je vois.

-T'as couché Mekra et tu lui plais, il ne me regarde pas. Est-ce qu'il te plaît ? sa voix se fait presque silencieuse. J'ai le droit de savoir, si c'est le truc où tu vas te barrer avec lui brisant mon crew et mon cœur.

S'il n'était pas aussi sérieux, j'aurais explosé de rire. Drama Queen. Mais c'est ma Drama Queen.

-Rassure-toi, il va rien arriver à ton crew. La famille avant l'oseille, l'oseille avant les salopes non ?

-C'est pas drôle putain, je suis super sérieux et tu te fous de ma gueule.

Il se lève du lit et commence à enfiler son pantalon. J'ai encore dit un truc qu'il ne fallait pas. Mais pour une fois, je ne regrette pas. D'abord, parce que je voulais simplement détendre l'atmosphère ensuite parce que ma blague était super drôle. J'y peux rien s'il n'a pas d'humour. 

Il sort brusquement du lit puis de la chambre. Sans oublier de claquer la porte. Je prends le temps de lever les yeux au ciel avant de me couvrir de sa chemise qui traîne parterre et de me précipiter à sa suite.

-Ken.

Il enfile son pantalon abandonné dans le salon la veille au soir. Il me tourne le dos. Je peux voir la tension dans chacun de ses muscles. Je crois qu'on est sur le point d'avoir notre première dispute de couple. Sauf que je ne fais pas dans les disputes.

-Non, il s'exclame avant de se tourner vers moi.

Je réalise seulement à quel point, il est en colère contre moi. Maintenant, je culpabilise pour la blague. Pourtant, elle était drôle je maintiens.

-J'essaye d'avoir une conversation avec toi, pour qu'on avance, pour que ça marche entre nous et la seule chose que tu trouves à faire, c'est te foutre de ma gueule ? T'es une putain de migraine, tu m'en fous plein la gueule, tout le temps. Et maintenant tu te moques de moi ?

-Mais de quoi tu parles ?

-Tu crois que j'ai pas remarqué, cette manière que t'as de cacher ton téléphone, de jamais répondre quand c'est moi qui t'appelle, ou encore d'arrêter de jouer du piano chaque fois que j'entre dans la pièce. Sans compter les réflexions, jamais direct, jamais un mot au-dessus de l'autre. Parce que madame est trop parfaite pour me dire clairement les choses.

Maintenant, je suis perdue. Pour le piano, je veux bien admettre, mais ces histoires de réflexions ou de téléphone je ne sais pas d'où est-ce qu'il les sort. Depuis quand est-ce que je lui en « fous plein la gueule » ça n'a pas de sens.

-Ok

-Quoi ?

-T'es en colère contre moi donc on va mettre une pause à cette conversation, je lui réponds en le regardant dans les yeux. Nouvelle règle, chaque fois qu'on se dispute, on peut la mettre sur pause le temps de se calmer, je poursuis me rapprochant de lui. Je vais prendre une douche, mettre de véritable habits et quand je reviens on pourra en discuter calmement. Sinon tu vas dire des trucs que tu ne penses pas et je vais faire de même. Sauf que je peux pas te perdre Ken.

Je n'attends pas qu'il me réponde, je me rends directement dans la salle de bain. Je prends la douche la plus longue de l'histoire pour lui laisser le temps de se calmer. En sortant, j'appréhende de ne pas le retrouver dans mon salon. Mais il est là. Assis sur le canapé, fixant la télévision toujours éteinte. Je suppose qu'il a fouillé dans mon dressing parce qu'il est vêtu d'un jean à lui et d'un pull appartement à Framal.

Je l'observe un instant. Je profite du calme avant la tempête. 


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