Chapitre 3

245 10 1
                                    

Allongée sur son lit, Ana fixait le plafond, l'esprit embrouillé. Elle avait eut beaucoup de mal à dormir. Bouleversée par ce que ses amis et elle avaient vu la veille, elle n'avait cessé de se remémorer les images de leur mésaventure. Savoir qu'une tribu de singes doués de parole résidait à seulement quelques dizaines de kilomètres de la Colonie était aussi fascinant que stupéfiant pour la primatologue qu'elle était. Les grands singes, elle les connaissait par cœur, surtout les chimpanzés et les bonobos, ses préférés. Elle savait qu'ils utilisaient divers gestes, expressions faciales et sons pour se faire comprendre. Qu'il était possible de leur enseigner la langue des signes et de pouvoir ainsi communiquer plus simplement et plus clairement avec eux. Elle avait même entendu l'histoire d'un chimpanzé dont les propriétaires avaient tenté d'enseigner la parole et qui, après de très nombreuses années d'entraînement, articulait péniblement des monosyllabes qui ressemblaient plus ou moins aux mots "Pa" et "Ma". Mais jamais elle n'avait eut vent de singes, quels qu'ils soient, capables d'utiliser la parole avec autant de facilité et de fluidité.

Certes, des singes qui parlent, c'est tout bonnement exceptionnel, incroyable, fantastique. Mais il y avait une autre chose qui l'avait encore plus ébranlée durant leur rencontre avec les primates : parmi ces singes doués de paroles se trouvait Koba, le bonobo au visage cicatriciel qu'elle avait rencontré dans un centre de recherche où elle était en stage. Elle était sûre et certaine que c'était lui, et encore plus qu'il l'avait reconnue. Ils s'étaient côtoyés pendant six mois et les grands singes possèdent une excellente mémoire des visages. Jamais elle n'aurait crût le revoir un jour. Durant la nuit, elle s'était également remémoré les bons moments qu'elle avait passé avec lui au centre de recherche.

Elle se souvenait qu'à l'époque, Koba était un adolescent de dix ans. Il en avait donc maintenant vingt-six, ce qui équivalait à environ quarante-et-un an pour un homme. Il avait une personnalité bien à lui, totalement atypique chez les bonobos, et elle se demandait s'il avait conservé ce caractère unique. Elle se rappelait par exemple qu'il se montrait très réticent envers les contacts physiques, alors que chez les bonobos, comme chez tous les grands singes sociaux, ces contacts sont permanents. Parfois, il autorisait Ana à lui caresser le dos à travers les barreaux de sa cage. Mais ces moments étaient vraiment exceptionnels et Ana devait cesser les caresses dès qu'elle sentait les muscles du singe se raidir.

Une autre chose qu'avait remarqué Ana chez Koba était qu'il présentait de grands signes de stress et d'anxiété. Il était presque tout le temps sur ses gardes, semblant essayer de surveiller toutes les directions en même temps. Dès qu'un humain s'approchait de lui, il rentrait la tête dans les épaules et affichait ce sourire si particulier chez les singes, lèvres retroussées, toutes dents dévoilées, un signe de peur et de soumission. Aucune personne travaillant au centre de recherche n'avait jamais levé la main sur lui, ce qui rendait son comportement assez étonnant, même si beaucoup se doutaient qu'il avait dû en voir des vertes et des pas mûres dans le passé. Sa cicatrice au visage et son œil aveugle en témoignaient.

Les bonobos sont connus pour utiliser les rapports sexuels dans de nombreux contextes autres que la reproduction, notamment pour apaiser les conflits ou le stress. Ana et ses collègues s'étaient donc dits que, pour régler son problème d'anxiété, mettre Koba en contact d'autres singes de son espèce pourrait être une bonne idée. Mais le borgne avait repoussé toutes les avances de ses congénères, comme s'il ne savait tout bonnement pas ce qu'il était censé faire avec eux.

En bref, Koba était un bonobo tout à fait exceptionnel. Et malgré son anxiété et son caractère distant, il avait un bon fond et Ana avait réussi à créer un lien de confiance entre elle et lui. Elle était l'un de ses chercheurs préférés -pour une raison qu'elle ignorait, Koba semblait faire plus facilement confiance aux femmes qu'aux hommes. Le singe possédait également une intelligence exceptionnelle et, à la grande surprise de tous les chercheurs, était arrivé au centre avec une excellente maîtrise du langage des signes. Aussitôt qu'elle eut découvert ce fait, Ana se mit à apprendre cette langue afin de pouvoir communiquer avec lui plus simplement.

Blinded by Hatred - Dawn of the Planet of the ApesWhere stories live. Discover now