Partie 102 : poser une bombe

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— Ça marche. Je garderai le secret pour 7 et s'il t'arrive malheur, je veillerai à ce qu'ils ne mettent pas la main sur elle. Tu n'as pas peur ?

— Si.

— Pourquoi acceptes-tu d'être jugée par ces poseurs de bombes si tu les méprises ?

— Parce que moi j'ai d'autres solutions que les bombes. Si j'avais été humaine, seulement humaine, je ne sais pas ce que j'aurai fait.

— Vraiment ?

— Je ne sais pas. Vraiment.

Tout en disant ça 2 pense à l'attentat dont elle a été témoin indirect, au choc et à la souffrance au cœur des rumeurs, et se dit que non, vraiment non, jamais elle n'aurait fait une chose pareille. Mais alors pourquoi est-elle suspendue au jugement des HR ? Ce n'est pas seulement pour sa vie en jeu ni celles de siens, ce n'est pas pour l'honneur dont elle a parlé à Choy. C'est une question d'identité, après tout. Légitime ou pas, cette grande mascarade a mis le doigt exactement là où elle avait mal. Sur la contradiction, entre principes moraux et nécessités politiques, qui lui a donné naissance.

— Je vois, dit Choy. Sur ce, je vais parler à ta sœur avant la suite des débats. Un message à lui transmettre ?

— Dis-lui que... que...

— Que tu l'embrasses ?

— Qu'on viendra la sauver. Quoiqu'il arrive. Quoiqu'il en coûte. Dis-lui que je le lui jure.

— Je lui dirai. »

Tandis que les gardes ramènent 2 sous bonne escorte, apparemment surpris de voir que rien n'est arrivé à Choy, celui-ci retarde encore un peu la reprise du Conseil et va voir les enfants. À son arrivée, Charly proteste :

« Je croyais que c'était fini ! On allait dormir !

Ils sont tous les quatre installés sur des lits de camp, vêtus de chemises de nuit trop grandes pour eux. Cally s'est déjà endormie, malgré la lumière, en serrant contre elle Jonathan. Choy se demande comment ce petit garçon fait pour rester aussi calme, collé en permanence à l'adolescente. Les yeux grands ouverts, il paraît veiller sur son sommeil. Mais la question urgente n'est pas Jonathan, ni même Charly. Juliette est assise sur son lit, maladroitement enroulée dans sa couverture, les bras autour des genoux. Elle se balance d'avant en arrière, doucement, les yeux dans le vague. Elle tente désespérément de retrouver le contact tech avec sa sœur. En vain. 2 est effacée de sa carte mentale. Tous les autres aussi. Ils pourraient aussi bien être morts.

Si vraiment ils sont morts, alors 7 n'a plus de raison de lutter contre l'ombre du Réseau. La présence lui réclame de sacrifier son esprit pour en faire un pont ? D'accord. Si la petite fille est définitivement seule au monde, alors ce qu'on fait d'elle n'a aucune importance. Elle est prête à collaborer.

Mais 2 n'est peut-être pas morte puisqu'elle vient de la voir. C'est pour ça que 7 tente encore de la rejoindre, épuisant son énergie mentale à envoyer des pensées dans le vide. Elle met un moment à comprendre que Choy lui parle.

— Bonjour, 7.

C'est d'entendre son numéro qui rappelle 7 à la réalité matérielle. Son numéro est aussi son nom, bien sûr, depuis toujours, mais depuis qu'on lui en a donné un autre, tous les humains l'appellent Juliette. Un nom qui n'a rien de laid. Mais être appelée par son numéro veut dire qu'on lui parle comme à une Tech, qu'on la connaît et qu'on connaît aussi ses frères et sœurs. Pourtant, elle-même ne connaît pas l'homme qui s'est assis par terre devant elle et lui parle doucement.

— Vous êtes qui ? demande-t-elle timidement.

— Un ami de ta sœur, la numéro 2, Betsie.

— Je veux la voir ! crie la fillette.

— Doucement ! Non, tu ne peux pas la voir pour le moment. Je suis désolé. Mais elle va bien. Elle m'a donné un message pour toi : elle jure qu'ils vont venir te sauver, quoi qu'il en coûte.

— Quand ?

— Je ne sais pas. Dès qu'ils le peuvent. Tu peux leur faire confiance. En attendant, je vais essayer de veiller sur toi. Mais je ne pourrais pas rester longtemps. S'il te plait, raconte-moi ce qui t'est arrivé avant de venir ici.

— Pourquoi tu es l'ami de 2 ?

— Parce que je l'aime bien et que je suis capable de m'occuper de toi, je crois. Elle a décidé de me faire confiance. Et toi ? Tu me fais confiance aussi ?

— Je ne sais pas. Tu vas partir ?

— Oui, mais je reviendrai.

— Breda elle est pas revenue.

— Qui est Breda ?

Charly intervient :

— C'est la femme qui s'occupait de nous. C'est quoi cette histoire de numéros ?

— Je te croyais endormi, toi. Ne t'inquiète pas, c'est juste une histoire avec la petite.

— Breda est allée chercher des renseignements pour l'aider, et elle n'est jamais revenue, alors j'ai le droit de savoir ! Et c'est moi qui dois m'occuper des petits, je lui ai promis, merde ! Alors vous ne l'emmenez nulle part tant que je ne suis pas sûr que vous vous en occuperez bien !

Choy s'accorde quelques secondes de réflexion. Finalement, il dit :

— Écoute, tu as l'air de savoir beaucoup de choses qui m'intéressent, et de mon côté j'ai aussi pas mal de renseignements. Le mieux me semble d'échanger ce que nous savons tous les trois pour prendre la meilleure décision, d'accord ?

Charly le jauge du regard avant de secouer la tête. Non, pas d'accord. Pas si vite. Puis Choy ajoute :

— Je comprends que tu te méfies. Mais elle me fait confiance, car sa sœur lui a dit de me faire confiance. Alors, que tu m'expliques ce que tu sais ou non, 7 va tout me raconter, et je vais la protéger. N'est-ce pas, 7 ? »

Juliette approuve vigoureusement. Charly s'avoue battu. En même temps, un poids s'envole de ses épaules. Toute cette histoire le dépasse et il est bien content de se débarrasser de cette responsabilité.

Interrogeant tour à tour les deux enfants, Choy parvient à se faire une idée de la situation qui a conduit les protégés de Breda Carson dans cette réserve. Il n'a toujours aucune réponse au mystère des messages techs envoyés de nulle part, mais au moins quelques liens commencent à s'établir avec la SRAM — ou le gouvernement, selon qui s'est chargé de faire disparaître la nourrice. À part cette mission dont Breda n'est jamais revenue, rien de permet de suspecter que les enfants sont liés à eux autrement qu'en tant que victimes. Enfin, Choy se résout à les laisser dormir tranquillement, tout en demandant à ce qu'on le prévienne immédiatement si jamais Juliette fait du somnambulisme ou dit des choses étranges. Une fois la réunion achevée, il devra organiser la protection de ces gosses, la fuite éventuellement nécessaire de 7, et creuser un peu l'histoire de la disparition de cette nounou. Une nouvelle nuit qui s'annonce très longue.

Les Techs - Tome 1 : les secrets du LaboratoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant