29. La folie de Puck

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- ... Il faut que tu saches une chose, Elenor, souffla-t-il après un moment de silence, Les défis imposés à des humains par Muadhan ont tous eu un sens plus profond que l'idée du jeu qu'il pouvait invoquer au premier abord...

Lorsque ses yeux croisèrent de nouveau les siens, Elenor y lut une telle amertume, un tel chagrin, qu'elle en fut frappée et oublia un instant ses propres problèmes. La licorne restait silencieuse, tout comme elle, laissant autant de temps qu'ils pouvaient au jeune homme.

Ce dernier se laissa soudain aller contre un arbre, comme si tout le poids du monde lui tombait brusquement sur les épaules. Les yeux dans le vague, Puck ouvrit alors la bouche et avoua :

- Moi aussi, je suis un humain... Du moins, je l'ai été.

Lui ? C'était impossible ! La jeune fille crut que son cœur s'était arrêté devant une telle révélation, puis le sentir redémarrer, pour lui faire si mal, en battant si fort, qu'on aurait pu penser qu'il allait jaillir de sa poitrine à tout instant. La seule réaction de la licorne fut de redresser brusquement la tête.

Faisant fi de leurs prises de conscience, le jeune homme eut un sourire amer.

- J'étais un jeune poète si ambitieux, à l'époque ! Mes écrits concernaient le triomphe de l'humanité sur toute autre chose existante. Et que la magie et la féerie n'étaient que des contes de bonne femme destinés à courber l'échine devant la supériorité de la connaissance et du savoir humain. Dans les années 1880 on cherchait à tout expliquer scientifiquement... Et moi, j'utilisais les mots, car les mots étaient des choses assez puissantes pour lutter contre le peuple féerique, dans les histoires. Il m'a donc paru aussi approprié qu'ironique que je me serve de ces mots pour prouver à tous une bonne fois pour toutes que la magie dont on parlait dans les histoires au coin du feu n'était rien d'autre qu'une invention, que cela n'existerait jamais... Et j'utilisais ces mêmes histoires pour les tourner en dérision dans mes poèmes.

Il prit alors un ton de conteur et fit monter vers la voûte des arbres quelques vers simples, mais qui firent frissonner instinctivement la jeune fille :

Que n'ai-je dormi pendant tant d'années,

Pour un jour me réveiller déçue,

Par cette chose qu'on appelait féerie,

Qui m'a plongé tout ce temps dans l'oubli,

Qui a forcé mon royal père obtus,

A brûler, détruire fuseaux à laine filer,

Plongeant un monde dans une frayeur,

Qui ne servait pourtant qu'à piquer le cœur,

D'une ignorance maladroite et désuète,

Inscrite dans l'âme des plus forts,

Marquée dans l'esprit des plus faibles,

Gravée en tous au nom de la Peur.

Suite à sa tirade, un silence pesant s'abattit sur eux, dans une atmosphère si épaisse qu'elle était à découper au couteau.

- J'étais si... sûr de moi, si... persuadé de mon opinion sur le sujet, que mes écrits se sont faits de plus en plus violents, plus méprisants, à l'encontre de cette magie avec le temps, soupira finalement Puck, Et... Ce qui devait arriver arriva. Muadhan vint me rendre visite, un soir, très tard, aux alentours de minuit, je dirais... Il avait pris l'apparence d'un vieillard que j'ai fait entrer chez moi, je ne savais même pas pourquoi. Il a parcouru mes écrits des yeux, puis s'est tourné vers moi et m'a dit : « Tu manies les mots avec une dextérité que j'ai remarqué depuis longtemps... ». Alors que je le remerciai de son compliment que je trouvai pour le moins étrange, il a ajouté « ... Et qui me donne envie de te proposer un petit défi. ». Lorsqu'il a repris sa forme véritable devant moi, j'étais stupéfait... Après tout, qui ne l'aurait pas été, surtout pour quelqu'un comme moi, qui passait son temps à railler cette magie, cette sorcellerie que je prenais juste pour des explications données par des ignorants à des novices ? Il s'est montré particulièrement avenant avec moi, et ce n'est que bien plus tard que je me suis rendu compte que le piège s'était refermé sur moi depuis longtemps à ce moment-là. Quand il m'a proposé le défi du Labyrinthe, j'ai accepté sans même réfléchir à pourquoi un roi des Faës viendrait en personne me voir pour me proposer une telle chose... Et puis, treize heures me semblaient bien suffisantes pour traverser le dédale à temps et atteindre son château, ce qui m'aurait ainsi permis de prouver une fois pour toutes que la magie n'était rien, même si l'on venait de me prouver qu'elle existait pourtant...

Une fois entré à l'intérieur, je n'en suis plus jamais ressorti jusqu'à aujourd'hui.

Muadhan m'a envoyé les pires horreurs qu'on puisse imaginer, a donné vie à mes cauchemars, a fait miroiter mes rêves pour les arracher brusquement alors que mes doigts s'apprêtaient à les toucher. J'ai failli devenir fou, mais il ne l'aurait pas permis, puisque cela aurait été un moyen d'évasion pour moi... Le délai des treize heures s'est écoulé, et je suis resté ici... Prisonnier pour toujours d'un monde que j'avais jusqu'alors clamé ne jamais avoir existé. Le roi n'avait pas du tout apprécié ce que j'avais pu dire sur son monde, son peuple, leur essence même, et me l'avait fait payer... Tout comme il me le fait encore payer aujourd'hui.

On aurait dit que leur confesser son histoire l'avait épuisé, ce qui devait être vrai. Il avait pali, mais tous les signes trahissant sa colère avaient disparu pour laisser place à une lassitude qui se ressentait jusque dans sa posture. Mérandil baissa la tête face à tant de pitié, et Elenor ne bougea pas, sous le choc. Elle commençait à comprendre un peu mieux, à présent.

- C'est pour ça que je te dis de ne pas faire la même erreur que moi, continua le jeune homme en relevant la tête vers elle.

Elle fut frappée de voir ses yeux sombres remplis de larmes contenues vaillamment. Des larmes qui devaient être là depuis longtemps, même lorsqu'il avait les yeux secs.

- Encore une fois, Muadhan ne propose jamais ses défis au hasard. Il s'est senti insulté par ce que j'écrivais... Et toi, tu l'obsèdes. Ce n'est pas de l'amour, il serait incapable de ressentir quoi que ce soit de ce genre... Mais c'est quelque chose de dévorant. Au point de tout faire pour gagner, comme il avait tout fait pour me briser. Et il vient de le prouver encore une fois. Si tu l'avais embrassé, tout aurait été fini. Tout.

Elle ne bougeait toujours pas, malgré le temps qui passait, malgré son cœur qui lui faisait mal...

- ... Elenor ? , s'inquiétèrent ses compagnons.

La jeune fille murmura quelque chose qu'ils ne comprirent pas immédiatement.

- Que dis-tu ?

Le regard qu'elle leur adressa était empli d'une telle détermination qu'ils se crispèrent. Les yeux d'Elenor avaient une particularité qui consistait à décupler les émotions qu'on y décelait avec une telle puissance qu'elle en était surprenante. Là, ses yeux gris lançaient des éclairs de colère, de volonté farouche et d'un courage qu'elle n'avait senti en elle que lorsqu'elle avait accepté, il y a ce qui lui parut être à présent une éternité, le défi du roi, dans sa chambre lointaine où il lui avait enlevé son petit frère.

- JE N'AI PAS PEUR DE LUI !

Puis faisant sursauter ses compagnons une nouvelle fois, elle se pencha, empoigna le bras de Puck pour le forcer à se redresser avant de se tourner vers Mérandil qui parut légèrement mal à l'aise.

- Mérandil. Est-ce que tu peux nous porter tous les deux?

Ah, ça... Elle allait droit au but !

- Euh, je...

Il fit taire la longue tirade qu'il s'apprêtait à faire en croisant de nouveau son regard, puis se contenta de hocher la tête. Il n'allait quand même pas avouer qu'il appréciait très peu d'être considéré comme une vulgaire bête de somme, vu l'état de la jeune fille et le temps qui leur restait. Et puis, elle avait raison. Ils iraient beaucoup plus vite. Il pouvait donc bien faire une exception pour ce coup-là, tout en s'efforçant d'oublier que c'était la deuxième exception.

- Parfait ! Désolée, mon grand...

Puis elle poussa le jeune homme vers la licorne. Il fallait croire que le récit malheureux de Puck lui avait mis le feu aux poudres !

Très vite, ils se retrouvèrent tous les deux à califourchon sur Mérandil qui, espérant très fort que personne ne remarquerait qui il était, démarra au galop, avalant les mètres pour tenter de grappiller quelques précieuses minutes qui permettraient à la jeune fille de ne pas avoir à raconter une histoire semblable à celle de Puck, dans quelques années, aux fous qui se seraient risqués à accepter un défi de Muadhan...

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⏰ Last updated: Jan 10, 2019 ⏰

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Les énigmes des Mondes mystérieuxWhere stories live. Discover now