Chapitre 32.

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La stèle est brisée, la cage est ouverte et les oiseaux s'en sont envolés. Les morceaux de pierre trônent au sol, vides de toutes magies. Les dieux n'y sont plus et un froid glacial parcourt la crypte. Assise à même le sol, face à la stèle, mes jambe ramenées contre ma poitrine, j'observe devant moi, les yeux dans le vague. Je sens la fraîcheur contre ma peau, qui m'anesthésie de tout sentiment... Pourtant mon cœur continue de pulser dans ma poitrine. Il bat furieusement pour me rappeler ce que je vais perdre. Je serre les poings tandis que mes ongles s'enfoncent dans mes paumes, y laissant des marques en demi-lune. J'ai vaincu Éris. Et en échange j'ai peut être libéré pire... Je me sens si vide et pourtant, ce sentiment s'approche presque de la sérénité. Je ferme un instant les yeux. J'ai pris ma décision. Et elle ne peut pas être autre.

Je sens soudain une présence près de moi. J'ouvre les yeux et aperçoit Orphée qui s'affale à mes côtés, son sac de voyage en main. Il reste silencieux quelques instants et se contente de fixer dans la même direction que moi. La stèle. Ou ce qu'il en reste. Sa présence en cet instant, alors que toute autre m'aurait perturbée, me fait un bien fou. Avisant à nouveau son sac de voyage, je lui demande :

« Tu t'en vas ?

- Je ne vais pas rester alors même que les dieux viennent d'être libérés ! Je crois que je vais me faire un peu oublier quelque temps... Ça ne serait pas une mauvaise chose.

- Non en effet...

Orphée ne doit sa survie qu'à l'immortalité que lui ont confié les dieux. Et ils sont bien capables de la lui reprendre. Le héro s'apprête à repartir en voyage. Et étrangement, cela ne me fait ni chaud, ni froid. C'est nécessaire. Et si le destin le veux bien, nous nous reverrons. Je pose ma tête sur son épaule et souffle :

- Eurydice serait fière de toi.

Il ne dit rien, perdu dans ses songes, sûrement à repenser à son éternel amour, et je profite de la chaleur que dégage son corps. Une balafre causée lors de la bataille strie sa joue. Elle ne change rien à son charme, y ajoutant peut-être même un soupçon de dangerosité qu'il ne possédait pas auparavant. Son parfum si sucré, si humain et si immortel à la fois me monte à la tête et je murmure, les paupière mi-closes :

- Je vais finir par croire que je ne goûterai jamais à ton héroïque sang...

- Je t'en empêcherai toujours Mélusine. Toujours.

- Ingrat.

Je ris et il se joint à moi. Cependant il reprend vite son sérieux et me glisse :

- Tu comptes partir.

Je me redresse et son regard vert croise le mien. Ce n'est pas une question, ni même un jugement. Seulement une affirmation. Sur les gardes, je demande :

- Quelqu'un d'autre l'a deviné ?

- Je suis le seul à te connaître suffisamment.

- Tant mieux...

Ni Seth, ni Poséidon ne se doutent de mon départ imminent... Cela m'attriste presque de faire ça à mon protecteur. Mais l'un comme l'autre ne pourront comprendre et ils seront alors capable de me faire changer d'avis. Hors rien ne doit m'empêcher de m'en aller...

- Il n'y a rien pour moi ici.

- Tu pourrais pourtant tout avoir. Amour et pouvoir. Richesse et bonheur. Tout ce que tu as toujours désiré au plus profond de toi, sous tout cet amas de méchanceté et d'ironie.

Je frissonne. C'est tentant. Bien plus que milles trésors ou chants de sirène. Mais je ne le peux. Et je ne le dois pas. Ça mettrait alors en danger ce que j'ai mis des siècles à construire, mon image, mon rôle de sirène tueuse. Je ne peux pas me défaire du passé, je ne peux pas changer radicalement, je ne peux pas laisser libre court à la minuscule part d'humanité qui vie encore en moi. C'est ma vie, mon immortalité. Il faut que je m'en aille. C'est une nécessite.

- Tu passes ta vie à fuir Mélusine... Quand cela cessera-t-il ?

- Veux tu que l'on évoque ton cas, Orphée chéri ?

Une lueur joueuse et amusée naît dans son regard émeraude. Son regard... Seul cette partie d'Orphée à toujours été la seule à exprimer la vérité. Il est parfaitement capable de mentir, de mimer tel ou tel sentiment mais ses yeux crieront constamment la vérité. Ses yeux... Et ses poèmes enchantés dans lesquels il ne ment jamais. Le héro pose alors une question, à laquelle je ne m'attendais pas du tout :

- Tu l'aimes ?

- Quoi ?

- Ton dieu, est ce que tu l'aimes ?

Je reste figée quelques instants, retenant ma respiration avant de détourner le regard. Ce n'est ni une réponse affirmative ni une réponse négative. Ce n'est pas une réponse tout court. Suis-je réellement capable de ressentir de l'amour ? Une partie de moi me crie que oui mais l'autre se moque. Je suis Mélusine de Longborn, la sirène aux milles victimes. Pas une femme au grand cœur. Mais Poséidon... Poséidon a éveillé quelque chose en moi. De dangereux.

Fuis...

Une multitude d'émotions pratiquement indéchiffrables passent sur le visage de celui qui est descendu jusqu'aux enfers. Brisant le silence, je lâche d'une voix neutre :

- Tu devrais te dépêcher si tu veux partir et disparaître sans que personne ne te retrouve.

Il esquisse une moue et décale une mèche de cheveux claire qui tombait devant ses yeux.

- Et toi ?

- Je leur ai demandé de me laisser un peu en paix, pour me remettre mes idées en place. Poséidon ne reviendra qu'au levé du jour, quand il verra que je ne suis toujours pas rentrée.

- Et ?

Je penche la tête sur le côté, un froid s'emparant soudain de moi.

- Je serais déjà loin, partie avec la marée.

- Et que fais tu de Seth ?

- Il reprendra sa vie. Il a assez rempli sa part du contrat... En le prenant comme protecteur je l'ai arraché à sa vie d'avant et je l'ai entraîné dans plusieurs guerres. Je suppose qu'il a suffisamment accompli sa tâche, payé la dette qu'il me devait pour sa vie. Il est temps qu'il prenne sa retraite.

- Cet humain te considère comme sa sœur ! Tu n'as rien gâché. Et puis, tu as gardé des protecteurs presque des centaines d'années alors que lui, cela ne fera même pas un demi-siècle.

Je souris et secoue la tête.

- Tu comprendras quand tu seras plus grand Orphée chéri...

- Mais... Je suis plus grand !

Cette fois ci mon rire est franc. Nous nous levons tous les deux et je suspends mes bras autour de son cou. J'effleure ses lèvres des miennes, sentant son cœur s'emballer dans sa poitrine d'une étrange manière, et je murmure, une pointe de mélancolie transperçant ma voix :

- File vite, le vent se lève...

Il fronce des sourcils, avant de resserrer quelque peu son étreinte. Puis il recule et ramasse son sac. Sa lyre s'y trouve sûrement. Le héro me sourit alors, confiant et se dirige vers la sortie. Pourtant avant de partir pour de bon, il gronde à voix basse, comme un avertissement :

- Solitaire mer, solitaire océan, tu es la solitaire sirène... N'oublie jamais Mélusine. Nous nous reverrons bientôt.

Je plisse des yeux et hoche raidement la tête tandis qu'il disparaît par l'ouverture. Un vide immense s'empare de mon être entier. Je me mords la lèvre et prend une grande inspiration pour m'éclaircir les pensés. Mon regard se pose alors sur la stèle et se fait alors plus dur. Je ne peux empêcher les mots de s'échapper d'entre mes lèvres :

- Je l'espère... »

Je détourne la tête et glisse ma main sous ma ceinture pour récupérer la dague d'argent ciselée. Un sourire étire mes lèvres tandis que je me dirige à mon tour vers la sortie. La lumière de la lune m'éblouit alors que les cris perçants d'une mouette, égarée en plein désert, me parviennent. Le vent fouette mon visage, secoue mes cheveux, sensation de liberté...

Tout est finit.
Je suis dorénavant seule. À tout jamais seule. Comme l'a dit Orphée, je suis la solitaire sirène...

Puisqu'il s'agit là de mon destin.

Si seulement j'avais su à quel point je me trompais...

Mélusine - Baiser MortelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant