Epilogue

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Il avait plu la nuit dernière. Les réverbères s'éteignaient peu à peu sous la lumière timide des premiers rayons de soleil qui transperçaient les nuages. La rosée perlait sur les feuilles des arbres de la petite ville encore endormie. Quelques voitures passaient sur l'avenue principale qui longeait le grand lac. Les aboiements d'un chien retentirent au loin. La ville se réveillait doucement.

Un bus s'arrêta près d'un pâté de maisons. Seul un jeune homme en sortit. Grand, long, il était vêtu d'un caban noir et d'un jean foncé. Un parapluie dans une main, une grosse boîte dans l'autre, il longea la grande avenue.

Il devait avoir vingt ans, peut-être un peu plus. Ses cheveux blonds avaient été plaqués en arrière, laissant découvrir son visage fin parsemé de tâches de rousseur. Ses yeux encore endormis étaient bleus, bleu azur. Une barbe naissante se dessinait sur la partie inférieure de son visage, et recouvrait ses joues rougies par le froid matinal. Droit, l'air solennel, il avançait dans cette petite ville peu peuplée.

Quelques minutes plus tard, il s'arrêta devant un grand portail de métal. Il retira ses écouteurs et passa la main dans ses cheveux avant de pousser l'une des portes grinçantes. Il marchait doucement, semblant vouloir retarder le moment où il s'arrêterait.

-Tu es déjà là, fit remarquer une voix derrière lui.

Il tourna la tête vers son interlocuteur. Il semblait avoir le même âge que lui, quoiqu'il était peut-être un peu moins âgé. Plus petit, plus musclé, les cheveux bruns et les yeux de la même couleur, une écharpe autour du cou, il s'avança vers son ami.

-Hayden, répondit le premier, comment vas-tu ?

-Bien, enfin, j'essaye. Et toi ?

-Je stresse. Je ne sais même pas pourquoi.

-Ça fait combien de temps que tu ne l'as pas vue ?

-Au moins deux mois. J'ai été exténué par le travail.

-C'est toujours moins long que moi. Je ne suis pas venu depuis l'année dernière. Depuis le premier anniversaire de...

-Oui, je vois...

Hayden sourit à son ami et ils se mirent à avancer. Tout autour d'eux était silencieux, paisible. Ils s'arrêtèrent devant une des nombreuses plaques de marbre et de pierre qui les entouraient. Le brun déposa un bouquet de roses blanches tandis que le blond sortait le contenu de la boîte. Des ronces.

-Pourquoi des ronces ? Questionna Hayden.

-Elle les adorait. Elle disait qu'elles les aimait parce que c'était l'une des seules plantes à ne pas faner qu'après une très longue période. "Elles sont presque immortelles", disait-elle. Comme ses...

Sa voix se brisa. Une larme s'échappa de ses yeux et roula sur sa joue. Hayden posa une main amicale sur son épaule.

-Je sais que c'est dur, dit-il, mais on ne peut pas changer les choses. Votre histoire était belle.

-Elle n'est pas finie, répondit le blond en souriant, elle ne se finira jamais, je l'espère.

-Je j'espère aussi, Angel.

Les yeux d'Hayden brillaient, refusant de laisser couler leur chagrin et leur émotion. Ils s'étaient rencontrés trois ans auparavant, après qu'il ait terminé ses examens médicaux et ait complètement chassé des démons. Ils étaient alors devenus de bons amis, néanmoins séparés par la distance des deux mondes dans lesquels ils avaient vécu. L'hôpital avait été omniprésent dans la vie d'Angel, et bien réel dans celle d'Hayden. Ils avaient été réunis par une seule et même chose, mais leur histoire était totalement différente.
Hayden se recula légèrement et brisa le silence :

-Je vais devoir y aller...je t'appellerai quand je reviendrai.

-À bientôt Hayden. Merci d'être venu.

Ils se serrèrent la main et Hayden disparut dans la brume, laissant Angel seul devant les fleurs. Le jeune homme se tourna vers ses ronces. Il resta immobile quelques instants puis, après de vains efforts, il laissa son chagrin dégringoler le long de ses joues. Il prit son visage dans ses mains et s'accroupit devant la pierre gravée. Il pleura longtemps, laissant toutes ses émotions l'envahir, comme pour vider son esprit et son coeur d'un trop-plein de sentiments qu'il avait enfoui en lui pendant des années.

Au bout d'un long moment, il se calma. Il essuya son visage et inspira longuement. Il eût enfin le courage de lire le nom sur la plaque : "Willow Lodge".

Willow était morte deux ans auparavant. Son coeur avait cessé de battre lors d'une nuit d'automne, pendant qu'elle dormait. Pour les médecins, c'était un infarctus. Pour Angel, ce n'était pas que ça. Elle était brisée. Détruite. Elle se sentait coupable de ce qu'elle avait fait, elle s'en voulait. Son séjour à l'hôpital l'avait déjà beaucoup traumatisée, sa prise de conscience sur ce qu'il s'était passé quand elle était enfant avait fini de l'achever. Son coeur avait lâché sous l'ouragan d'émotions qu'elle avait enduré. Elle s'était battue, Willow. Mais elle avait perdu. Contre la vie.

Angel ressassa tout ce qu'il avait vécu avec elle. Depuis le premier jour. Quand il l'avait vue au bord du lac dans sa robe d'hôpital. Quand elle l'avait mordu alors qu'il avait voulu la porter. Quand il l'avait emmenée à l'observatoire. Quand elle avait tué sa boule de poil - douloureux comme souvenir, mais cela faisait partie de leur histoire. Il se rappela de sa réaction quand il lui avait appris qu'elle pourrait travailler dans le domaine de l'astrologie, et étudier les étoiles. Il se souvint également de comment elle était quand elle lui avait annoncé le massacre de ses parents, et la culpabilité qu'elle avait éprouvé. Enfin, il se souvint de chaque fois où il était tombé amoureux d'elle. Il ne les avait pas comptées tant elles étaient nombreuses. Il se rappelait encore du goût de ses lèvres quand il l'embrassait, du son de sa voix quand elle lui parlait, de son rire, de ses pleurs, de sa démarche, de ses gestes. Il se souvenait encore de chaque détail de son visage. Il se remémorait ses habitudes, celle de s'assoir tous les soirs à la fenêtre pour contempler les étoiles, de dessiner l'espace sur tout ce qu'elle trouvait. Il ne pourrait jamais oublier tout ça. Elle avait chamboulé sa vie.

Il se souvint également du jour où il avait eu les résultats de son bac d'Anglais. Il avait écrit huit pages sur Willow. Sa professeur y avait collé un post it où elle avait écrit : "she's a mad girl ! All the best people are crazy. Keep her close to you."
Le surnom l'avait amusé, mais il avait surtout retenu la dernière phrase. Elle avait sûrement raison. Il devait la garder près de lui, quoiqu'il arrive. Et il l'avait fait. Et il le faisait encore.

Un sourire se dessina sur ses lèvres. Ses yeux, brillant d'amour, laissèrent s'échapper une dernière larme. Il commença à s'éloigner et envoya un doux baiser vers la tombe de son aimée. Enfin, il leva  les yeux vers les dernières étoiles présentes dans le ciel et chuchota pour Willow :

-À bientôt, ma Mad Girl.

Mad GirlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant