Chapitre Seize

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Écrit par Cennis

Chapitre Seize

Le journal était un cadeau de Claude. Ce dernier l'avait donné à Alois quelques temps avant de l'emmener à St. Victoria, lorsqu'il était encore le jouet de Cet Homme et que Claude n'avait d'yeux que pour lui. Il l'adorait et à juste titre. Le docteur n'avait pas pour habitude d'offrir des cadeaux à n'importe qui, après tout. Il savait également que l'objet avait été spécifiquement choisi pour lui. Il était habillé d'un doux cuir inestimable qu'Alois n'avait jamais vu auparavant, et toutes les pages étaient ornées d'or, bien qu'il sache que ce n'était pas réellement le cas il aimait y croire. Il l'adorait, comme l'avait prévu Claude.

Il était si beau qu'Alois n'osait pas y écrire. Il ne ferait qu'écrire de stupides choses qui ruineraient le blanc immaculé des pages. Une fois que le journal serait marqué, il serait officiellement sien, et il ne pouvait s'empêcher de ne pas vouloir cela. Il préférait penser qu'il appartenait à Claude, qu'il s'agissait de quelque chose que l'homme détenait et dont il était le seul possesseur.

C'était ce qu'il avait pensé ces dernières années. Cependant, Alois avait toujours été esclave de ses émotions, notamment les plus néfastes. Sous le coup de la colère qu'il portait à Claude, il extorqua le journal de sa cachette sous son matelas, l'ouvrit avec tant de force que le dos craqua, puis il mit son stylo contre le papier. Il regretta dès que l'encre, l'encre noire laissa une tache sur la page, observant le petit point d'encre s'étaler tel un essaim d'araignées fuyant le bout de son stylo.

Il l'avait ruiné.

Il n'appartenait plus à Claude désormais.

Zydrate. Seringue. Une heure ou deux. Peut-être trois. 'Sais pas. Je me sens-

Ciel lui avait dit de garder une trace de son expérience avec la nouvelle et étrange drogue. Étant donné qu'il avait déjà ruiné le journal, il s'en servait comme support. Enfin, il essayait. Qu'était-il censé écrire, exactement ? Les mots n'avaient jamais été son fort, encore moins maintenant qu'il se sentait tout chose.

Je me sens tout chose.

Quelle précision. Il leva les yeux au ciel, analysant son gribouillage à peine lisible en tentant de faire sortir davantage de mots de son stylo. Ils lui résistaient bien, cependant.

Ça me plaît.

Il n'avait jamais eu l'occasion de beaucoup regarder la télévision. Entre une chose et l'autre, il ne restait jamais assez longtemps quelque part pour s'installer, encore moins pour trouver le temps de passer une heure ou deux planté devant la stupide boîte. Cependant, comme pour tout ce qu'il ne possédait pas, Alois se l'imaginait. Regarder la vie de personnes fictives se dérouler devant lui en technicolor, ces dernières trouvant toujours les meilleures répliques avant la page de publicités, leurs pitreries impliquant des dilemmes humoristiques facilement résolubles pendant la moitié du temps d'antenne. Des personnages que l'on pourrait facilement rencontrer dans la rue, sympathiser avec puis être embarqué dans leur monde de tragédie et d'angoisse hebdomadaire, des problèmes auxquels l'on peut s'identifier mais qui n'inquiètent pas vraiment. C'était ce qui était attirant dans la télé, non ? C'était une manière de s'éloigner de sa propre réalité en s'aventurant dans celle d'un autre – être dopé jusqu'au cou au Zydrate avait le même effet.

Il n'était pas Jim Macken, bien qu'il ne l'était pas depuis très longtemps. Il n'était pas Alois Trancy non plus. Alois Trancy était un personnage dans une série qu'il regardait. Dans cette série, Alois Trancy était amoureux du grand, mystérieux et serait-beau-s'il-souriait docteur, Claude Faustus, mais grand, mystérieux et serait-beau n'était plus vraiment intéressé par le petit Alois. Voyez-vous, la nouvelle s'était essoufflée lorsque le docteur avait trouvé un nouveau joli petit garçon sur qui s'exalter.

Inertia CreepsWhere stories live. Discover now