Chapitre 27 - Le poids de l'âme

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Le jour de leur arrivée à Château-Brillant, Eleanne avait trouvé Ser Demetrios au septuaire, priant le Guerrier de lui donner la force de triompher dans le tournoi. Désormais aux rênes de la gestion de sa maison, c'est vers le Père que le jeune seigneur se tournait à présent.

« Monseigneur », le salua-t-elle après avoir attendu le signe qu'il sortait de sa prière. Lord Demetrios était un damoiseau de seize ans, à peine moins âgé que Grey mais en apparence bien plus ingénu que lui, croyant à la vertu et à tout ce genre de sornettes. Ses cheveux châtain clair tombaient en courtes boucles jusqu'à ses épaules, encadrant un visage à l'expression douloureuse, durcie par les récentes épreuves.

« Merci d'avoir répondu à mon appel ». Sa voix était faible, comme si elle venait de très loin, et affreusement triste. « J'avais besoin de confier mon âme. »

Eleanne lui répondit par le sourire gêné le plus encourageant qu'elle put produire.
« Je compatis à votre douleur, monseigneur. Vous pouvez vous confier à moi en toute confiance. » La phrase était sincère, même si à chaque fois qu'elle la prononçait, Eleanne ne pouvait s'empêcher de penser à la puissance qu'elle représentait : un septon ou une septa mal intentionnée pouvait, par la seule force de son statut, se retrouver en possession de secrets inimaginables. Aucun escroc n'avait-il donc jamais songé à endosser la robe pour soutirer leur pitance aux humbles, ou leur fortune aux puissants ? Enfin, aucun véritable escroc ?

« Si vous saviez... Je ne peux dire ce qui ravage le plus mon cœur, de la peine d'avoir perdu mon frère, de la honte de m'être épris d'une fille indigne, ou du dégoût que je m'inspire pour avoir causé la perte de mon seigneur par orgueil. »

Eleanne avait appris par expérience que ce qu'attendaient ceux qui se confiaient à elle était avant tout son écoute. Elle se contenta de s'installer à côté de lui, s'agenouillant comme lui mais sans rien dire. Son silence encouragea Demetrios à poursuivre.

« Je devrais me donner la mort pour avoir trahi mon seigneur, mon frère. Je l'ai abandonné au moment où il avait le plus besoin de moi, et j'ai condamné ma maison à l'opprobre en le privant de mon soutien. J'aurais aussi bien pu brandir la lame qui l'a occis. »

La tentation était forte de répondre que Lord Elias s'était condamné lui-même, par son propre orgueil. Mais c'était la dernière chose que Demetrios avait envie d'entendre, et elle en avait bien conscience.
« Vous ne pouvez pas changer le passé, seulement le futur. Votre devoir est à présent envers votre maison : il vous faut laisser cet événement derrière vous, et vous montrer fort pour vos gens, et pour votre sœur. »

Theodora était plus solide que lui : elle n'aurait sans doute pas besoin de sa force, mais elle aurait néanmoins besoin qu'il soit capable de faire face, puisque c'était à lui qu'incombait la responsabilité de la gestion de leur maison à présent.

« Comment pourrais-je me présenter devant eux après ça ? Humilié par la femme dont j'ai porté la faveur devant des centaines de spectateurs ? Je serai la risée de tous ! »

« Il vous appartient de faire oublier cet incident, en brillant par votre vertu et votre droiture, par la noblesse avec laquelle vous surmonterez l'adversité, monseigneur. »

Les yeux du jouvenceau plongèrent vers la dalle de granit sur laquelle tous deux se tenaient. Une ligne scintillante apparut entre ses paupières serrées.
« Et comment pourrais-je... ? Quand mon cœur continue de battre pour elle ? »

La mâchoire d'Eleanne s'affaissa malgré elle. Elle s'aperçut alors que Demetrios serrait encore dans son poing fermé le foulard de soie orange qui était le symbole de la faveur que lui avait accordée Myriah Hawk. Que répondre à cela ? Elle n'avait pas vocation à être conseillère dans des affaires de cœur ! et elle aurait été bien mal placée pour l'être... Dans les rues des villes, les miséreux avaient une façon de vivre l'amour bien plus prosaïque que celle qu'on trouvait dans les contes de chevalerie, et depuis qu'elle avait revêtu sa robe de septa, elle confinait ses sentiments dans une sorte de tiroir à fantasmes qu'elle gardait soigneusement fermé : après la vie qu'elle avait eue, elle n'était pas prête à risquer la sécurité que lui assurait le statut de septa pour des questions de sentiments ou de désir.

L'Ascension de la Maison ArchelonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant