Chapitre 27 - Le poids de l'âme

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Eleanne

Savoir lire était une compétence indispensable pour une septa, mais Eleanne avait dû apprendre par ses propres moyens et son niveau de lecture était rudimentaire. Au quotidien, elle s'arrangeait toujours pour déchiffrer à l'avance les textes qu'il lui faudrait lire publiquement, et elle faisait alors en sorte d'assimiler suffisamment les suites de mots pour pouvoir les déclamer ensuite pratiquement par cœur.

S'attaquer à la lecture du journal de Mestre Owain était une épreuve d'un autre genre : alors que les livres de liturgie étaient traditionnellement clairs et aérés, le carnet de notes du mestre était griffonné en tout petits caractères, sans aucune considération pour un potentiel lecteur. Ce type de carnet n'était logiquement destiné qu'au mestre pour son suivi personnel, et aux rats de bibliothèque de la Citadelle, dont la mission consistait à récupérer les travaux des mestres après leur trépas, pour les archives de l'ordre.

Progresser d'une seule ligne dans sa lecture représentait déjà pour Eleanne un réel accomplissement, et lui demandait davantage de minutes qu'il n'y avait de mots. Elle s'était naturellement d'abord dirigée vers les dernières entrées du journal, pour savoir sur quoi travaillait Owain juste avant sa disparition, supposant que c'était là que se trouveraient les informations les plus cruciales. Néanmoins, elle savait que même en ne s'intéressant qu'à cette dernière portion du carnet, il lui faudrait plusieurs journées de décryptage laborieux avant de pouvoir faire un récit détaillé des derniers jours du mestre à Château-Brillant. Plutôt que de s'acharner ligne par ligne, elle sautait de paragraphe en paragraphe, espérant tomber ainsi sur un passage révélateur, et croisant les doigts pour que cette méthode ne la fasse pas passer à côté des détails les plus importants.

Déjà, ses doigts s'étaient arrêtés sur les mots « cadavres » et « poison ». Son cœur s'était emballé, et elle avait mis plus d'application à déchiffrer ces entrées : elle avait ainsi compris que le mestre avait exhumé des dépouilles et révélé à l'aide d'un procédé chimique que les victimes étaient mortes d'empoisonnement.

Ça n'était pas ce qu'elle avait espéré, et cette lecture la fit soudain se rendre à l'évidence que même si Owain avait attenté à la vie de Lord Jakob, il était certain qu'il n'en aurait pas fait le récit dans son journal... Elle avait alors repoussé le carnet et s'était laissée retomber contre le dossier de son siège, démotivée : elle s'était donné bien du mal pour récupérer le journal sans savoir ce qu'elle y trouverait, mais à présent qu'il était entre ses mains, elle se demandait plutôt s'il y avait en vérité quoi que ce soit à en espérer. Elle reprit néanmoins sa lecture après un instant de laisser-aller, mais son enthousiasme était largement retombé.

Lorsqu'on frappa à sa porte, elle considéra l'interruption comme une bénédiction. Elle fit disparaître le carnet dans une poche intérieure de son ample veste gris souris, et rejoignit la porte d'un pas énergique.

« Qui est là ? », interrogea-t-elle.

C'était un serviteur des Wight, qui venait l'informer que Ser Demetrios Palamede -ou plutôt Lord Demetrios à présent- souhaitait qu'elle le rejoigne au septuaire. Elle hésita à emporter le journal avec elle, mais elle mesura rapidement que malgré ce qui était arrivé la veille, l'avoir sur elle restait la meilleure façon de le conserver. Elle descendit les escaliers de la tour sur les pas du domestique, traversa la cour du château où ne s'affairaient plus que des serviteurs portant la livrée noir et sang des Wight, et atteignit rapidement le septuaire. Un vigile arborant l'aigle doré des Palamede l'accueillit à l'entrée, mais ce n'était pas le colossal Ser Amyntas cette fois : elle était parvenue à sauver le capitaine de la garde de la mort, mais celui-ci restait condamné à une longue convalescence après son accident du matin. En dépit de la désorganisation qu'avaient causé les tragédies qui avaient frappé coup sur coup les Palamede, la délégation pléthorique de serviteurs qui les avaient accompagnés au tournoi s'était efficacement pris en main, et la sécurité avait même été renforcée : la protection des seigneurs d'Oestgard était désormais assurée par une escouade de six hommes en armes.

L'Ascension de la Maison ArchelonWhere stories live. Discover now