Sibylle (Chapitre 36)

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Le regard de Sibylle ne parvenait pas à quitter son frère. Elle ne voyait pas le vaisseau qui l'environnait, les autres personnes présentes, seul son sourire à lui l'illuminait. Une flamme de chaleur montait en elle et la princesse se retourna sans réfléchir pour croiser les yeux de Carlys resté légèrement en arrière dans l'embrasure de la salle de commande. Il lui adressa ce sourire si particulier à lui et lui fit un signe d'encouragement de la tête.

Alors la jeune femme oublia tout et se rua en avant vers Rodolphe sans plus rien penser. Il marqua une brève surprise avant d'ouvrir grand ses bras pour ensuite les refermer sur elle. Un monde de souffrance physique s'ouvrit en elle alors même que mentalement Sibylle revivait enfin. Elle ne put s'empêcher de se dire brusquement qu'elle avait pour la première fois depuis des années auprès d'elle les deux hommes qu'elle aimait.

— Oh, Rodolphe ! J'ai eu tellement peur de t'avoir perdu pour toujours !

Elle sentit le jeune homme se tendre sous l'effet de l'émotion et sa voix sonna rauque à ses oreilles lorsqu'il répondit.

— Moi aussi. J'ai l'impression que tu m'échappes toujours... De n'avoir jamais cessé de craindre pour toi.

Ils se détachèrent lentement l'un de l'autre sans cesser de se sourire, sans se quitter des yeux. Sibylle sentit quelque chose de son ancien caractère remonter à la surface et un éclair de résolution fragile traversa son regard.

— Bientôt nous n'aurons plus à avoir peur tous les deux... Vous êtes revenus, l'empereur est de nouveau à la place qui est la sienne : sur Astra. Qui peut encore quelque chose contre nous ? Qui aurait cru il y a tant d'années que nous irions aussi loin ?

— Peu de gens, c'est certain, répondit une voix derrière Rodolphe.

Sibylle sursauta comme si on l'avait piqué. Elle aurait juré que c'était son frère qui venait de parler si elle ne l'avait pas vu garder le silence. A regret, elle s'arracha à sa contemplation fascinante, et décala son regard vers sa droite. Elle laissa alors échapper un cri de surprise.

— Tu... Vous vous ressemblez tant !

Le garçon qui venait de se dévoiler à elle avait les mêmes prunelles étincelantes que Rodolphe, dorées par moment et toujours porteuses de rêve et d'une part insaisissable de mystère. Ses cheveux étaient coupés de la même façon que son père : un peu longs, et foncés comme lui. Quant aux traits, ils étaient d'une ressemblance si saisissante que Sibylle était certaine qu'elle l'aurait reconnu partout.

Elle ne disait toujours rien, Theobald non plus, semblant attendre son verdict, et Rodolphe les désigna l'un à l'autre en jetant un coup d'oeil légèrement inquiet à sa soeur. Elle pouvait presque l'entendre penser, lui l'éternel inquiet ! Allait elle accepter l'adolescent de quatorze ans comme l'enfant d'hier ?

— Sibylle, voici mon fils... Theo, je te présente ma soeur.

Sa voix débordait de chaleur, témoignant de l'affection qu'il leur portait à tous les deux. Pendant quelques secondes, la jeune femme cru qu'elle allait se sentir jalouse de l'adolescent avant de se laisser envahir par sa générosité non oubliée mais enfouie en elle depuis ces longs mois sombres d'abattement. Elle salua profondément.

— Le fils de mon frère... Tu es mon neveu et je suis heureuse de te revoir, la dernière fois parait si lointaine !

Les traits de Rodolphe et Theobald se détendirent du même sourire reconnaissant. Le prince répondit avec une gaité non forcée :

— Lointain certes mais marquant ! Je n'ai jamais oublié la princesse astrayenne ! Vous aviez fasciné comme mon père l'enfant que j'étais.

Elle hocha la tête, presque amusée, lorsqu'elle sentit quelqu'un venir la rejoindre et se placer juste à côté d'elle. La jeune femme tourna la tête vers Carlys, flegmatique et amusé.

— Hello les royaux ! Comment ça va Rodo depuis le temps ?

Rodolphe fronça les sourcils et hésita un instant lui aussi sur la conduite à agir avant d'esquisser un sourire, détendant aussitôt l'atmosphère.

— Bien je suppose. J'avais presque oublié ton manque total de respect.

Les deux hommes se jaugèrent quelques secondes avant que Sibylle ne sourit. Alors ils se détendirent tout à fait, réunis autour de la même personne. La jeune femme fit des yeux le tour des autres personnes présentes, faisant alors seulement l'effort de leur prêter attention.

L'une d'entre eux se détachait particulièrement. Elle avait les cheveux noirs, parfaitement coiffés, une tenue militaire épousant ses formes, et malgré son air fatigué, une lueur de déception et de colère semblait brûler sans discontinuer au fond de ses prunelles.

— Qui êtes vous ? questionna t-elle sans masquer sa curiosité, désirant avant tout de nouveau se familiariser avec l'entourage de son frère.

La personne en question tourna ses yeux envoutants vers Rodolphe, avec une légère moue, comme attendant ce qu'il allait répondre et Sibylle sentit une tension envahir de nouveau l'atmosphère. Elle sentit son coeur se serrer, se rendant brusquement compte qu'elle ne retrouverait jamais la simplicité qu'elle avait pu entretenir jadis avec son frère. Ou que ce serait difficile, face au presque inconnu qu'il était aujourd'hui.

Celui ci se redressa mais resta silencieux. Ce fut Theobald qui fusilla des yeux la jeune femme qui attisait la curiosité de Sibylle et répondit.

— La remplaçante de ma mère. Comment dire... Le peuple d'Astra a encore un peu de mal à me tolérer. A accepter mon identité... Votre frère a dû s'engager à prendre une nouvelle femme que voici, Saskia 84-BT-78... Et à avoir un autre héritier. Saskia avait de plus été prévue dans les plans du régent...

La surprise se peignit sur le visage de la princesse tandis qu'elle dévisageait plus attentivement sa presque belle-soeur. Ainsi Saedor avait même pensé à la question des héritiers après eux ? Pourquoi est-ce que cela ne l'étonnait pas tant que ça ? Tout simplement parce que cela correspondait au caractère organisé et au sens du devoir de leur oncle...

Saskia se braqua en sentant peser sur elle l'examen silencieux de la princesse tout juste arrivée et eut du mal à rester calme.

— Alors, qu'en pensez vous ? Je suis assez bien pour votre frère ? demanda-t-elle avec une certaine amertume.

Sibylle comprit alors la raison de la tension dans la pièce et laissa un sourire compatissant éclairer ses traits, retrouvant ses talents innés de compréhension des souffrances muettes de ceux l'entourant.

— Celle qui a assez de courage pour tenter de prendre la suite de la charismatique mais encombrante Aileen d'Erica a tout mon respect...

Saskia rougit légèrement sous le compliment et ne parut pas savoir comment réagir, se contentant de couler un regard au jeune homme à ses côtés, Eden d'après le nom que la princesse avait entendu à son arrivée.

Elle se tourna ensuite sur sa droite pour retrouver Rodolphe. Il haussa les épaules, nullement fâché du reproche muet qu'il devinait en elle. Il fit un pas vers elle, la frôla et murmura à son oreille de manière à ce qu'elle fut la seule à entendre :

— Promis... Je ferai un effort avec Saskia. Mais il lui ressemble trop pour que je parvienne à l'oublier, comprends tu ?

Il s'éloigna sans attendre de réponse vers la sortie de la salle du cockpit et Sibylle resta quelques secondes immobile en arrière, face à Carlys venu la rejoindre tandis que les autres emboîtaient le pas à l'empereur.

Elle n'avait pas besoin de poser de questions pour comprendre que "il" désignait Theobald et que Rodolphe aimait toujours Aileen...

Elle se mordit la lèvre inférieure, désolée de la souffrance qu'elle devinait là, et lorsque son regard troublé croisa celui inquisiteur de Carlys, elle fut saisie de peur à l'idée brusque de le perdre, alors même qu'elle n'en avait pas été aussi proche que Rodolphe d'Aileen... Mais cette dernière histoire ne pourrait jamais revivre, alors elle se jura d'essayer d'aider Saskia de tout son possible à faire le bonheur de son frère et des astrayens.

C'était la solution la plus pragmatique... Mais l'esprit romanesque et rêveur de la jeune femme se révoltait malgré elle à cette idée. C'est le coeur lourd qu'elle se décida à sortir sur les traces de son frère, suivie d'un Carlys silencieux, ne voulant visiblement pas la déranger dans ses pensées.

Les enfants d'Astra T5 [SOUS CONTRAT D'EDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant