Sibylle (Chapitre 13)

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Sibylle escaladait un sentier escarpé entre les rochers avec dextérité. En plusieurs années leur petit groupe avait fini par apprendre à savoir vivre avec la montagne, se cachant dans les grottes dès qu'une patrouille ennemie apparaissait, s'organisant le reste du temps pour survivre.

La jeune femme s'était imposée facilement avec son titre mais certains jours se sentait particulièrement découragée. C'était le cas aujourd'hui. Est ce que cela avait encore du sens de croire qu'un jour son frère allait arriver à la tête de tous les autres enfants d'Astra ? Cela faisait des années qu'ils attendaient sans aucune nouvelle... Chaque nouvelle journée était plus pesante que la précédente, et Sibylle passa mécaniquement sa main sur le Ravageur à son cou.

Au bout de tant de mois passé à grelotter dans le froid ou à transpirer dans la chaleur de l'été, elle aurait pu penser que le boîtier maudit ne fonctionnerait plus... Mais non, il demeurait aussi terrible qu'au premier jour, l'empêchant de retrouver le sourire qu'elle avait perdu il y a trop longtemps déjà.

Une rafale de vent la heurta tandis qu'elle franchissait un nouveau détour du sentier et elle se rattrapa de justesse, manquant tomber en arrière. Elle savait que beaucoup de ses camarades détestait l'insouciance avec laquelle elle se déplaçait dans la montagne, et particulièrement Carlys, mais elle ne parvenait pas à s'obliger à davantage de prudence.

Vivre était plus difficile chaque jour à mesure que l'espoir disparaissait en elle et que l'idée que son frère était peut être mort devenait plus forte.

Elle inspira l'air frais de cette matinée de printemps et se retourna en atteignant le petit plateau pour jeter un regard en arrière.

Les siens s'activaient dans la minuscule vallée à peine discernable en contrebas. Elle allait reprendre sa marche lorsqu'une voix essoufflée se fit entendre derrière elle.

— Sibylle ! Sibylle attends moi !

Elle s'immobilisa et son regard se déporta vers le sentier qu'elle avait suivi. Un jeune homme facilement reconnaissable l'escaladait rapidement, et il ne tarda pas à la rejoindre, ses grands yeux sombres brillants d'inquiétude.

— Al'... C'est ma journée de pause aujourd'hui.

Ils s'étaient organisés dans le camp, et même Carlys l'anti-social avait accepté de prendre des responsabilités. La jeune femme le dévisagea tranquillement en tâchant de cacher sa souffrance.

— Je le savais.

— C'est la tienne aussi, poursuivit-il d'un ton accusateur.

Elle haussa les épaules et se détourna. Ses cheveux courts étaient maintenant un peu plus longs mais le jeune homme n'avait pas changé malgré le passage des années.

La jeune femme reprit sa marche sans but, continuant simplement de s'élever, et son camarade dû la retenir par le poignet pour qu'elle s'immobilise. L'intolérable douleur du contact la fit frissonner mais ce fut tout car elle avait appris à retenir la moindre de ses émotions.

— Quoi ? Lâche moi.

— Al', j'ai besoin de te parler.

Les deux jeunes gens s'étaient de nouveau immobilisés et s'observaient en chiens de faillance.

Les rochers couverts de mousse des alentours paraissaient gris et froids, mais Carlys alla s'appuyer contre l'un d'eux, paraissant avoir soudain besoin d'un soutien.

Sibylle enfonça ses mains dans son jean rafistolé après avoir resserré sa veste pâle d'un mouvement vif.

— Eh bien, parle, vas-y.

Face à d'autres personnes, elle aurait cherché à cacher sa souffrance et ce serait elle aussi installée contre l'un des rocs, mais face à lui elle n'en éprouvait pas le besoin.

Il passa une main sur sa nuque d'un air gêné, et leva les yeux vers le ciel gris pour suivre le vol d'un oiseau noir.

— Je... Sibylle, je ne te laisserai pas faire.

— Quoi ?

Elle voyait très bien où il voulait en venir mais préférait ne pas le reconnaître. Le regard de Carlys se fit accusateur.

— Tu m'éloignes. Tu as écarté de toi tous ceux qui t'aimaient... Et je suis le dernier que tu veux maintenir à une distance de sécurité. Je ne comprends pas Al'... On était amis, non ? Je te rappelle que si j'en suis là, c'est à cause de toi. Je n'en ai rien à faire... Mais arrête de me fuir. Ton amitié est importante pour moi... T'imagines tu ce que je peux ressentir ? Tu sais que j'attache une énorme importance à ceux que j'aime !

Son regard brillait de larmes contenues et Sibylle sentit son coeur se serrer, ajoutant à la peine qui ne la quittait jamais. Il avait raison, mais elle ne voulait pas se rapprocher de nouveau de lui.

— J'ai besoin d'être seule maintenant...

Carlys se redressa et fut d'un bond juste devant elle tout en prenant bien garde à ne pas la toucher cette fois.

Son regard chercha le sien et il riposta.

— Je ne crois pas que quiconque puisse aimer la solitude... Tu sais mieux que personne que j'ai toujours été un original. Tu as été la première à m'accepter comme j'étais... Pour moi ça signifie tout. Et je sais que justement parce que je t'aime, je serais près à être là pour toi, même si tu me hurles de partir ! C'est ça, la véritable amitié...

— De l'amitié, Carlys ? demanda tranquillement Sibylle d'un ton las.

Elle devait reconnaître qu'il l'avait touché, mais justement pour cela elle devait d'autant plus l'éloigner. Un jour ou l'autre, elle allait le faire souffrir encore davantage, et cela elle ne voulait même pas l'imaginer.

Carlys parut pris de court par sa question. Il s'efforça de sourire sans y parvenir.

— Eh ! Je te rappelle que je suis un philosophe. Ça signifie que je tiens plus que tout à garder les idées libres et à être toute ma vie indépendant. Comment pourrais je aimer autrement que comme de l'amitié ? Cela me brouillerait l'esprit et m'empêcherait de réfléchir.

Il prononçait ces mots comme s'il s'efforçait de se convaincre lui même et Sibylle esquissa un nouveau triste sourire.

— S'il te plaît... Laisse moi. Retourne avec les autres. Retourne avec Sacha... Je l'ai vue, elle t'aime... Tu devrais...

— Non !

La jeune femme se tut, surprise de la violence du ton et de l'air soudain suppliant de Carlys.

Il écarta les bras d'un air désolé.

— D'accord... Je rends les armes. Je t'aime... enfin, tu es une amie fantastique et je ferai n'importe quoi pour te rendre heureuse et te faire ressentir la même chose pour moi. Je ne suis pas désintéressé, tu es devenue un élément essentiel à mon bonheur. Alors s'il te plaît... Laisse moi t'aider et rester à tes côtés.

Le regard de Sibylle s'assombrit et elle recula de deux pas. Le jeune homme perdit pied et baissa la tête.

— Je t'en supplie... Ne mets pas fin à notre amitié : elle est absolument tout pour moi. Je ne veux pas avoir peur que tu disparaisses de ma vie à tout instant... que tu mettes fin à tes jours, parce que j'ai déjà vu cette tentation dans tes yeux tristes.

Les enfants d'Astra T5 [SOUS CONTRAT D'EDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant