Aileen (Chapitre 16)

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Quelques gardes firent aussitôt un pas en avant mais Theobald éleva la main d'un geste si empreint d'autorité qu'ils s'immobilisèrent, soudain hésitants.

— Ce n'est pas légal, chère Maman. Pour l'arrestation d'un prince de la lignée directe... Il faut que le conseil tout entier ratifie la décision ou un référendum à 85 pour cent. Or, je suis un prince populaire, à juste titre je l'espère. Le temps que le conseil se mette d'accord... Vous permettrez que je sorte d'ici, il me semble que l'air devient un peu lourd.

Sans attendre un mot de plus, sous les regards presque admiratifs face à la noblesse qui se détachait de ses gestes tranquilles et assurés, il tourna les talons, sans être arrêté par les gardes et s'apprêtant à gagner la porte du fond.

— Theobald !

Il ne s'immobilisa pas mais continua sa marche. Le cœur battant à se rompre, Aileen baissa la tête et inspira. Que voulait elle ? Une vie de haine et de solitude, loin de son fils qu'elle aimait tant ? C'était un cauchemar sans nom qu'une telle possibilité, et elle sut tout à coup qu'elle ne pouvait lui dire adieu, pas comme cela. Elle releva son regard, plus assurée, et cria sans se soucier de tous les conseillers présents.

— Si tu parviens à nous échapper avant que nous ayons pris la décision officielle de t'arrêter... Alors Effectivement comme je l'ai dit, tu ne pourras plus jamais revenir. Mais sache que s'il faut cela pour te retrouver, c'est moi qui irait te rejoindre, ou que tu sois.

Il y avait une telle émotion dans sa voix qu'il était impossible de ne pas y être sensible. Le vieux conseiller paraissait peiner à trouver sa respiration, et plus d'une personne sur deux tachaient de cacher une soudaine empathie pour leur reine.

Theobald jeta un coup d'œil en arrière, et son regard croisa les pupilles violettes de sa mère.

— Merci. Aucun enfant au monde ne pourra jamais rêver d'une mère meilleure que vous.

Alors, reste... aurait voulu le supplier Aileen, tout en sachant qu'elle avait déjà fait tout son possible en ce sens et avait échoué. Son fils se fit ouvrir la porte dans le plus complet des silences revenu, et quitta la salle simplement, comme s'il partait pour quelques jours de vacances, alors même que sa mère n'était pas sûre de le revoir un jour.

À peine le battant était il refermé que l'un des conseiller, un noir d'une quarantaine d'années, se levait très calmement et demandait :

— Alors, qui est contre la proposition de la reine ? Qui va refuser l'unanimité pour l'arrestation du prince ? Nous devons le retenir. Peut être pourrons nous montrer une certaine indulgence envers cet enfant... Mais il nous faut le conserver avec nous et l'empêcher de rejoindre nos ennemis.

— D'autant plus qu'il détient des informations capitales sur la situation d'Astra maintenant, ajouta une femme en se penchant en avant vers la table.

L'homme se rassit en hochant la tête. En quelques clics, il avait paramétré une proposition de loi qui apparut sur tous les écrans. En temps normal, avec la voix de la reine, l'unanimité n'aurait pas été nécessaire... sauf pour une mesure aussi importante à l'encontre d'un prince.

Lorsqu'Aileen vit apparaître la proposition sur l'écran devant elle, elle eut du mal à ne pas trembler, et dut s'y reprendre à deux fois avant de parvenir à cliquer.

Elle devait ordonner l'arrestation de son fils... D'autant plus maintenant qu'il les avait clairement prévenu de son intention de divulguer l'information concernant les survivants d'Astra : les dragons.

Son doigts effleura la surface de verre, sans cliquer pour autant, et il lui fallu une nouvelle grande inspiration pour s'y décider.

Elle attendit ensuite, calme et digne mais les mains tremblantes, que tous les membres du conseil restreint aient votés.

À chaque instant, la jauge nécessaire à l'emprisonnement de Theobald se remplissait un peu plus, et Aileen sentait le froid de la peur se diffuser un peu plus au plus profond d'elle même.

Elle se devait de retenir Theobald, mais répugnait à le mettre en danger. Les conseillers paraissaient être proches de la clémence aujourd'hui... Mais qu'en serait il dans quelques années si le prince maintenait ses dangereuses positions ?

Bientôt, il ne resta plus qu'une personne qui n'avait pas voté : le doyen des conseillers et le fidèle de la reine.

Il tourna un regard douloureux vers Aileen, ses yeux pales assombris par les doutes, tandis que tout le monde se mettait à le fixer.

— Majesté... Je ne peux ratifier un tel décret qui mettrait le prince en danger.

Plus calme et froide en apparence qu'elle ne l'avait jamais été, Aileen murmura en réponse dans son micro :

— Si nous le rattrapons maintenant... Il a une chance de revenir se ranger à nos côtés. Sinon, il devient un traître, un homme qui sera rejeté par tous. Faites cela par humanité si vous ne pouvez le faire par loyauté à l'AM.Erica...

Le conseiller la dévisagea encore de longues secondes sans chercher à cacher sa sympathie, mais finit par secouer la tête à son grand désespoir.

— Je crois que pour la première fois depuis des années, je comprends les revendications d'Astra. Je crois que Theobald peut œuvrer pour la paix, bien mieux que nous n'avons su le faire, et que loin d'être rejeté par nos deux mondes, il sera le seul que l'on acceptera d'écouter de tous les côtés, parce qu'il tient sa légitimité de sa noblesse de caractère et du sang qui coule dans ses veines. Majesté, j'ai cessé de croire que le conseil avait le pouvoir d'éviter le retour d'une guerre et d'un massacre, alors je veux laisser sa chance à cet enfant qui peut peut être nous en remontrer à tous...

Il se détourna ensuite résolument et cliqua sur son écran sans plus d'hésitation. Atone, complètement à l'écart du monde, Aileen vit s'afficher son vote en rouge sur son écran à travers le voile qui envahissait son esprit.

« L'unanimité n'a pas été faite. La procédure requiert un référendum auprès du peuple... quatre vingt cinq pour cent des votes seront nécessaires pour autoriser l'arrestation du prince Theobald d'Erica, héritier de l'Alliance. »

Les enfants d'Astra T5 [SOUS CONTRAT D'EDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant