Chapitre 3 : Tourner en rond, dans ma tête.

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C'était une bonne journée. Actuellement, ce fut la meilleure journée depuis les quatre derniers mois. Pour la première fois, j'avais eu l'impression d'être un être humain et non un rat de laboratoire. Vincent avait préparé le souper pour nous deux. Il n'avait pas cessé de dire que ce n'était rien d'extraordinaire, mais j'ai eu l'impression que c'était le meilleur repas que j'avais mangé de ma vie.

Après avoir pris une douche chaude, je me dirigeais, enroulée dans une serviette, vers ma chambre. Je m'assoyais sur le sol, les mains à plat sur le parquet froid, et pris le temps d'analyser chacune des choses présentes dans la pièce. Il y avait une grande fenêtre encadrée par un rideau bleu pâle. D'ici, je pouvais voir le ciel dans toute son immensité. Le soleil n'était pas complètement couché; je pouvais voir les rayons percer les nuages. Il y avait des parcelles de ciel rose, certaines mauve et d'autres bleu foncé. C'était magnifique. J'avais rarement eu l'occasion de l'observer de cette façon.

Le lit était collé au mur, dans le sens de la longueur, il était entouré par des bibliothèques. Elles étaient presque vides. Seulement quelques livres et un cadran numérique reposaient sur une tablette. Rien de personnel et aucune photo. À ma droite; un petit bureau et une table de travail. Puis finalement à ma gauche; un grand miroir. J'y voyais ma réflexion. Le reflet du ciel donnait une teinte lilas à ma peau très pâle. Je détournais le regard, la vue de ma réflexion me dérangeait. J'étais consciente que c'était bien moi, mais, sans plus. Ma vie se résumait à ce qui se trouvait entre ces quatre murs. Même si tout ceci m'appartenait et que j'étais maintenant, en quelque sorte, chez moi, je me sentais comme au centre. Le creux dans mon estomac s'y trouvait encore. Le vide que créait l'absence de mémoire était presque insupportable. J'avais l'impression qu'il y avait trop d'espace dans ma tête pour ce que j'avais d'emmagasiné.

Je libérais mes cheveux trempés de l'emprise de la serviette et la déposait sur le dessus de la commode. Je retirais également celle qui recouvrait mon corps pour enfiler mon pyjama. Je m'approchais de la glace et j'observais la jeune femme qu'elle me projetait. J'avais beau chercher au plus profond de mon être, aucun souvenir ne revenait. Je touchais le miroir du bout des doigts, j'avais l'impression que la froideur de l'objet me transperçait la peau. Je soupirais et quittais la pièce.

Vincent dormait devant une émission de télévision. Ses longs cheveux bruns étaient détachés. Je pouvais apercevoir du roux dans ceux-ci. Il semblait plus jeune lorsqu'il dormait, même s'il ne s'était pas rasé la barbe depuis quelques jours. Ses mains reposaient sur sa poitrine, je les regardais bouger avec chacune des respirations qu'il prenait. Je m'approchais silencieusement. Je m'accroupis devant lui et touchais délicatement la fine barbe sur le bord de sa mâchoire.

« Hey? » chuchotait-il, me faisant sursauter. « Hey! » répliquais-je, la main sur mon cœur.

« Que fais-tu? » me demandait-il, levant ses yeux vers les miens, pendant qu'il se redressait.

« Je m'assure que mon cœur bat encore. » Il regardait ma main et riait.

« Je ne parlais pas de cela. » Ajoutait-il, toujours souriant.

« Rien, je venais seulement discuter, encore. » C'était la première excuse qui m'était venue. Je m'assoyais sur le fauteuil près du divan où il était étendu, rapprochant mes genoux sous mon menton. Il se redressait pour me faire face.

Il y avait quelque chose d'étrange dans ses yeux noisette. Il semblait surpris et apeuré à la fois. Il essuyait ses mains sur son jeans. « Qu'est-ce... » J'hésitais. « Qu'est-ce qui se passe, Vincent? »

Il secouait la tête, il semblait désorienté. « Rien. » Je l'observais, il avait le même air étrange de cet après-midi. J'étais incertaine face à la réaction que je devais avoir. Il eut un cri en provenance de la télévision et je me retournais vers celle-ci. Vincent relâchait un long souffle comme s'il retenait sa respiration. Je reportais mon attention vers lui, son regard était sur mes doigts qui se déplaçaient sur le tissu du fauteuil. J'arrêtais le mouvement et passa ma main dans mes cheveux, maintenant secs et lisses.

« Tu sembles fatiguée, voudrais-tu un café? » Sa question était froide, détachée.

« Non merci, je ne bois pas de café. » Il se dirigeait vers la cuisine et s'arrêtait dans l'embrasure de la porte en me souriant. Avais-je imaginé la froideur? Il me souriait en attachant ses cheveux avec l'élastique qu'il avait autour de son poignet.

« Un chocolat chaud alors? » Léger signe approbateur de ma part et il disparaissait dans la cuisine.

Il était revenu en moins de dix minutes, une tasse dans chacune de ses mains. Il m'en tendait une en me rappelant de faire attention parce qu'elle devait être chaude. « De quoi voulais-tu me parler? »

« De toi. » La chaleur provenant de la tasse était réconfortante, comme si elle effaçait le froid laissé par le miroir. « Que s'est-il passé après le décès de tes parents? »

Vincent baissait les yeux vers son café, il soufflait doucement sur le liquide noir pour le tempérer. « J'ai eu droit à un certain montant d'argent dû au décès, et j'ai décidé de vivre seul. » Il n'avait pas levé les yeux de sa tasse. « Il ne me reste que mon oncle, le frère de ma mère, puisque mon père était enfant unique. » Il fit une pause pour prendre une gorgée et déposait la tasse sur la table basse, les yeux rivés sur ses mains. « Il est contrôlant, j'imagine que c'est un peu à cause de son travail, et sa femme et moi avons des opinions beaucoup trop différentes pour réussir à cohabiter. »

Il levait finalement les yeux vers moi avec un sourire qui n'atteignait pas son regard. Je lui rendis son sourire. « Et tes grands-parents? »

«Les parents de mon père sont toujours en France, je ne les connais pas vraiment, et ceux de ma mère étaient déjà décédés quand je suis né. » Je voyais le malaise qu'il avait à parler de sa famille, alors je n'insistais pas pour avoir plus de détails. « Veux-tu regarder un film? J'ai l'impression d'avoir déjà suffisamment parlé pour aujourd'hui, qu'en penses-tu? » J'éclatais de rire. Nous nous sommes installés pour regarder un film que je ne connaissais pas avec des vaisseaux spatiaux et de drôle de personnages. Je regardais sans réels intérêts, en combattant mes paupières qui menaçaient de se refermer sur mes yeux fatigués.

Je devais m'être endormie pendant le film parce que j'étais maintenant dans les bras de Vincent en direction de ma chambre, il me déposait doucement sur mon lit et se dirigeait vers la sortie.

« Bonne nuit, Vincent. » Chuchotais-je en remontant la couverture sous mon menton, sachant qu'il ne pouvait pas m'entendre.







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