54 : Séparation.

1.2K 189 44
                                    

Quand Lucile rentre chez elle, c'est non sans surprise qu'elle retrouve Icare agenouillé sur le canapé de cuir, en train de lire un nouveau recueil de poésie qu'il vient d'acheter. Il n'a jamais bien loin ses crayons. Parfois Lucile trouve étrange comment Icare arrive à trouver une telle émotion sur les vers et la façon dont il les retranscrit à travers des dessins. C'est comme si Icare était le lien entre deux arts, la poésie et le dessin.

Concentré dans son travail, il est soudainement retiré de sa concentration quand il sent le siège du canapé s'affaisser lorsque Lucile s'y assoit.

—    Tu vas bien ? Ta journée ?

Lucile hausse les épaules. Elle ne va ni bien ni mal. Elle est heureuse de voir Icare en vie et se rend compte à quel point cette pensée est triste en même temps.

Icare repose son livre à l'envers, prenant soin de le laisser ouvert à la page où il s'était arrêté.

—    Dis-moi ce qui ne va pas, poursuit Icare en attrapant doucement ses petits poignets.

—    Il faut qu'on parle.

Icare lâche les doigts qu'il venait d'attraper deux secondes plus tôt. Son cœur se serre, malgré lui. Les mots de Lucile, il sait d'avance qu'ils n'annoncent jamais rien de bon. Surtout en voyant les traits tendus de la jolie brune.

—    Lucile, attends, la coupe Icare. Je t'aime. Et je ne vais plus recommencer, je te le jure.

—    Tu n'es même pas sûr de tenir ta promesse.

Icare voudrait contester, mais au fond, il sait que Lucile n'a pas tort. Il aimerait ne pas se réveiller un matin avec cette envie de mourir. Il sait que c'est le mieux pour lui. Mais il n'est sûr de rien.

—    Mais j'essaie d'aller mieux, insiste-t-il.

—    Je sais Icare.

Le ton paniqué du jeune homme s'oppose à celui serein de son interlocutrice. Cela l'effraie.

—    Je n'ai pas le droit de t'en vouloir. Pourtant j'aurais des raisons, reprend Lucile. C'est dur de reprocher à quelqu'un le fait qu'il ait envie de mourir. Tu ne peux pas imaginer Icare. Toute la journée, je stresse. Je ne veux pas manger, je pense à toi. Je pense à ton corps dans une baignoire de sang, comme la dernière fois. Je ne m'enlève pas cette image de la tête. Je vois tes cicatrices, tes pensées ailleurs. J'ai peur, à chaque seconde, de te perdre.

—    Je suis désolé, murmure Icare.

—    Tu n'y es pour rien. Mais je n'en peux plus. Je sais que c'est sans doute égoïste de dire ça parce que toi tu as tenté de te suicider. Nos problèmes sont différents Icare. Je veux être là pour toi, et je sais que tu ne voudrais jamais me faire souffrir. Mais tu vois, je suis épuisée, psychologiquement. Je sais que tu ne veux pas être un fardeau pour quiconque, et surtout pas pour moi.

Ce qui tue le plus Lucile, en avouant la vérité à Icare, c'est de voir les larmes qui coulent sur les joues de l'homme. Icare est touchant, il l'a toujours été. Malgré son passé, il a toujours fait preuve d'une innocence marquante et d'une sensibilité impressionnante. Quand on voit cet homme si fragile fondre en larmes face à vous, vous vous en voulez. Vous savez qu'il mérite mieux.

—    Je pense juste que pendant quelques temps, il faudrait que tu sois seul et au calme, conclut Lucile.

—    Tu me largues, c'est ça ? articule difficilement la voix d'Icare coupée par les sanglots.

—    Non, c'est différent.

Icare rapproche ses genoux de sa poitrine, comme un enfant. Comme s'il voulait une fois de plus se protéger des autres et s'enfermer dans sa carapace, celle qu'il s'est forgé en prison.

—    C'est mieux pour toi si tu trouves un endroit calme pour te reposer. C'est mieux pour moi que je reste seule quelques temps pour me recentrer sur ma vie et ne plus paniquer à chaque instant pour ce qui pourrait t'arriver, explique Lucile. J'en ai parlé avec ta psychologue, elle est d'accord avec moi.

—    Je ne veux pas être seul, je ne peux pas partir, proteste Icare.

—    Écoute-moi, je ne t'abandonnerai pas, je te le jure. Mais je crois que tu as besoin de calme Icare, de prendre du recul sur tout ce qu'il t'arrive, et ce dans un autre environnement. J'ai téléphoné à Niels, il va venir te prendre en voiture. Tu vas aller te reposer quelques jours dans le centre équestre de mes parents. Je suis sûre que tu seras moins soucieux là-bas. Je les ai prévenus que tu avais besoin de calme.

Icare encaisse les informations, mais c'est plus fort que lui, il ne peut s'empêcher de rester méfiant.

—    Tu me promets que tu ne m'abandonnes pas ? murmure-t-il d'une voix faible.

C'est sans doute cela sa plus grande peur. Être laissé, seul. Comme sa mère qui l'a abandonné un mois après sa naissance, comme ses anciens amis quand ils ont su qu'il partait en prison.

Il sent Lucile qui se penche vers lui, appuyant ses coudes sur ses genoux. Un mince sourire se dessine sur ses lèvres d'un rose pâle.

—    Je ne te laisserais pas Icare. Je te le jure. Parce que je t'aime.

Icare sourit au milieu de ses larmes, alors que Lucile s'approche pour l'embrasser.

—    Je n'ai aucune raison de rompre avec toi Icare, tu le sais, lui confie sa petite-amie. Je veux juste me reposer, après tous ces évènements.

—    Je crois que je comprends.

Icare lui sourit à son tour, alors que la jeune femme se cale contre lui.


Un long moment passe où ils restent ainsi sans bouger, comme profitant de la présence l'un de l'autre avant d'être séparés.

—    Lucile, un jour tu m'avais dit que je pourrais te parler de la prison, de mon histoire...

—    C'est vrai.

—    Je ne veux pas le faire aujourd'hui, parce que je crois que tu as besoin de prendre du recul sur ma vie, de te reposer quelques temps comme tu l'as dit. Mais quand je reviendrais, cela te dérangerait si...

—    Pas du tout.

Icare se sent soulagé d'une partie du poids qu'il portait sur les épaules. Comme si finalement la séparation future avec Lucile lui faisait prendre en compte comme lui devait évoluer, avec lui-même.

—    Et... Quand tu te seras remise de tout ça... Tu pourras m'accompagner au poste de gendarmerie ?

Lucile se tourne vers lui, pour n'avoir son visage qu'à quelques centimètres de celui de l'homme.

—    Tu veux...

—    Déposer plainte.

La main délicate de Lucile se pose contre la joue barbue d'Icare. Lui, ne peut quitter les prunelles noisette face à son visage.

—    Tu es bien plus courageux que ce que tu veux croire Icare.

Ce dernier rougit, avant de sentir un ultime baiser sur le coin de ses lèvres. Lucile se relève, et regarde un instant le recueil de Germain Nouveau. Elle le prend, et découvre la page où Icare l'avait laissé.

Elle reste un instant sonnée par le dessin. C'est elle. Le croquis au crayon de papier est fin, raffiné, mais tellement réaliste. Son corps est allongé, sur le côté. Elle dort, d'une manière paisible. Des roses prennent naissance en bas de la page, leurs pétales ne touchent jamais la jeune femme. Le haut est plus sombre, fidèle à l'univers d'Icare. Et elle regarde la dernière strophe du poème, celle mise en valeur par les entrelacs de tiges épineuses qui se forment autour.

« Baiser d'amour qui règne et sonne
Au cœur battant à se briser,
Qu'il se refuse ou qu'il se donne,
Je veux mourir de ce baiser ».

Et Lucile se demande probablement si cela est possible de ne pas tomber amoureuse d'Icare.

IcareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant