Icare

32 : La dernière chance.

Icare est stressé. Il se demande depuis combien de temps il n'a pas subi une telle appréhension. Sans doute des années. La dernière fois qu'il a eu une telle boule au ventre, il avait dix-sept ans. Il attendait son verdict. Avant de savoir qu'il serait envoyé quinze ans en prison, le maximum pour un mineur jugé pour un meurtre simple.

Ce jour-là, c'est différent. Icare retourne au tribunal pour savoir s'il pourra être libre. Les membres du SPIP lui disent que cela ne sert à rien de s'inquiéter, qu'un dossier comme le sien, avec une bonne tenue en prison, l'accomplissement de toutes ses consultations avec un psychologue et la possibilité d'emploi à l'extérieur ne sont que des bons facteurs. 

Icare a quand même peur qu'on lui refuse d'être libre. Il ne le supporterait pas. Cette liberté, à chaque fois, c'est ce qui l'empêche de demander des médocs à des toxicos pour en finir, surtout quand il revoit l'épisode de Jauris dans sa cellule.

— Icare, tu es prêt ?

Le détenu sursaute, avant de relever le visage vers Philippe. Ce n'est pas JP qui va l'amener face au juge, mais Icare est quand même satisfait que ce soit Philippe. Il n'aurait pas supporté que ce soit Jauris. Il aurait probablement fait une autre crise d'angoisse.

Il se souvient de la moue peinée de la gentille docteur quand elle l'a vu arriver dans son cabinet. JP lui a rapidement expliqué ce qu'il s'était passé, mais Icare n'a pas pu délivrer la moindre information supplémentaire. Avouer le nom de Jauris était déjà un pas de géant pour lui. La docteur lui a nettoyé ses bras, avec un regard fâché mais à la fois inquiet, injecté des vitamines, avant de lui ordonner de manger un peu plus dorénavant, en lui rappelant qu'il mettait trop sa santé en danger. Icare le savait.

— Allez viens, lui indique Philippe en lui passant les menottes.

Icare trésaille mais n'essaie de ne rien montrer. « Ce n'est que Philippe, il ne va pas abuser de toi tant que tu as les mains attachées », se murmure-t-il mentalement pour se rassurer. 

Philippe guide le détenu dans les couloirs de la prison, jusqu'à rejoindre le véhicule de l'administration pénitentiaire. Icare grimpe à l'arrière alors que Philippe prend place en temps que copilote. Un autre surveillant allume le contact, et Icare sent le véhicule qui quitte le bâtiment de la prison.

Icare ne sait pas combien de temps il a roulé, ce qui est sûr c'est qu'à chaque de minute de trajet, il avait l'impression qu'il allait vomir, même s'il n'avait pas mangé ce matin-là. Pourtant, il avait essayé de se réalimenter les deux derniers jours, avalant seulement son petit-déjeuner et quelques fois les desserts de ses autres repas. Il laissait les restes à ses deux nouveaux codétenus, ce qui les arrangeait.

Le véhicule s'arrête enfin, et quelques secondes plus tard, Philippe vient ouvrir la porte arrière de la voiture. Icare le suit sans un mot, levant la tête dès lors qu'il est dans le tribunal. Ce n'est pas celui où il a été jugé à dix-sept ans, mais chacun de ces bâtiments gardent une certaine prestance, et s'imposent face aux hommes qui paraissent minuscules à l'intérieur. Le sol est lustré à souhait, ce qui change du lino toujours collant de la prison. Philippe sourit en voyant Icare s'émerveiller pour un couloir différent de ce qu'il croise à la prison, s'étonnant presque devant une plante verte luxuriante, avant de rappeler le prisonnier à l'ordre. Icare sort de sa contemplation, sourit à son tour, avant de suivre le surveillant.

Ce dernier le guide jusqu'à un couloir, où l'attend un visage qu'Icare n'a pas eu l'occasion de voir bien souvent : son avocat. Il se souvient de lui, la première fois. Un homme tout juste titulaire du barreau, commis d'office pour un jeune meurtrier. Le père d'Icare n'avait pas les moyens de payer un bon avocat, certains auraient probablement refusé l'affaire, donc le sort s'était abattu sur Maître Elton. Le jour de l'audience, il avait les jambes tremblantes, et surtout, était stressé à un point incroyable. Sa première affaire était celle d'un gamin qui avait tué son voisin par plusieurs coups de couteaux ! Il s'en souviendra probablement toute sa vie.