Partie 82 : réalité des menaces

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Parce qu'elle s'est fait entailler le doigt jusqu'à l'os et que ça la met de mauvaise humeur, se dit cyniquement 5, ressentant envers Thune une haine telle qu'elle n'en avait jamais connue. Elle a pourtant détesté de tout son être les soldats qui ont attaqué le laboratoire. Mais eux ne l'ont pas pris sur leurs genoux, et elle n'était pas obligée de coopérer gentiment. Incapable de répondre à Thune sans l'insulter, elle se met à trembler violemment et ne dit rien. Thune continue comme si de rien n'était :

- C'est parce qu'elle me dit des mensonges qu'elle est méchante. Je sais les mensonges. Je les vois dans ses yeux. Je la punis parce que je l'aime et que je veux que c'est une bonne fille. Et toi, tu es une bonne fille ?

- Ou... oui...

- Pourtant tu as dit des mensonges, ma Vicky, et ça c'est pas bien. Aucun de mes enfants ne dit des mensonges !

- Pardon !

- Alors je vais vous punir toutes les deux. Vilaines petites filles.

La voix de Thune est toujours aussi horriblement douce et gentille tandis que de la main gauche il joue avec la pince. 5 aimerait le griffer jusqu'au sang pour effacer cette immonde mascarade. Mais elle ne peut que crier :

- Je vais tout te dire ! Tout ! Laisse-la tranquille !

Thune fait claquer une dernière fois la pince avec un sourire cruel. Puis dit :

- Je t'écoute. »

Et il écoute, très attentivement, le plan improvisé de 5, basé sur une invention commode : les Techs seraient capables de manipuler mentalement les adultes. La ruse ne marche pas aussi bien que les deux petites filles l'auraient voulu, Thune se demande pourquoi elles n'ont jamais utilisé ce don, et ce que Mok vient faire là-dedans. Mais elles persistent, 5 expliquant avec empressement, 3 confirmant du bout des lèvres. Elles disent que si jamais Thune n'avait pas été en permanence entouré d'enfants, elles auraient facilement pu en venir à bout. Mais que maintenant elles sont ses prisonnières. Que ceux qui les ont envoyés n'ont pas prévu la présence des combattants. Bref, que Thune s'est montré plus habile que les membres du Gouvernement honni.

Finalement, le chef les croit, tout à sa fierté d'être prêt à vaincre ses ennemis avec leurs propres armes. L'anticipation de sa vengeance lui procure un tel plaisir qu'il néglige même d'être paranoïaque. Après tout, ce ne sont que deux petites filles, et venant de l'extérieur qui plus est, incapables de se servir d'une arme. Il les laisse seules toutes les deux. Avec les enfants combattants comme gardiens.

Timidement, 5 tente par son contact tech de voir dans quel état est le doigt de sa sœur. Ce n'est pas brillant, il lui faudra bien deux ou trois heures avant qu'elle puisse s'en servir à nouveau. Au moins la petite Tech ne risque aucune infection. 3 ne se plaint pas de la douleur, elle déchire froidement un morceau de son tee-shirt pour l'enrouler autour de la blessure et faciliter la cicatrisation. 5 hésite à lui proposer son aide et finalement n'intervient que pour nouer la bande de tissu qui rapidement s'imbibe de sang. Elle se concentre pour fixer le sang tech en une carapace coagulée qui empêchera 3 d'en perdre trop. Mais elle ne peut rien contre la douleur - à moins de rendre certains nerfs totalement insensibles, mais c'est un processus qu'elle ne sait pas inverser. Dans le Réseau, elle voit l'esprit de sa sœur comme étant entièrement entouré d'une muraille. Elle pourrait forcer le passage ou solliciter humblement un contact. Elle préfère ne rien faire. Elle et 3 se sont tout dit, tout ce qui est nécessaire pour mener à bien leur plan, si 3 n'a plus envie de parler, alors 5 ne va pas la forcer.

Même si ce silence la blesse.

Même si elle se sent seule et vulnérable.

Même si 4 lui manque atrocement.

Ses mots reviennent à l'esprit de 5. C'était il y a quelques années, tout juste après la naissance de 7, 4 avait dit « On a de la chance ! On est nés au hasard et on s'entend tous bien, comme une vraie famille ! ».

Sur le moment, 5 avait été tout à fait d'accord avec lui. Elle avait quatre ans. Elle ne s'était pas aperçue que 3 se tenait à l'écart d'eux, et qu'elle préférait la compagnie des humains à celle de ses frères et sœurs. 3 faisait son devoir et était gentille avec 5, l'aidait et lui apprenait ce qu'elle avait besoin de savoir. Mais l'avait-elle aimé un jour ? Ce n'est que maintenant que 5 se pose cette question.

Si 4 était là, elle pourrait lui demander de la poser pour elle. Mais il n'est pas là. Il doit être en sécurité et 5 en est heureuse pour lui, mais il n'est pas là. 5 ne regrette pas une seconde que ce soit lui qui soit parti, jamais elle n'aurait supporté qu'on lui fasse du mal ou qu'on tente de lui en faire. Mais il lui manque. Sa gentillesse, son humour, ses tentatives de maintenir la paix entre les deux sœurs...

De son côté, 4 a toujours admiré le courage de 5. À présent, la fillette estime que la moindre des choses pour lui faire honneur est de montrer à nouveau du courage.

Elle passe un bras résolu autour des épaules de sa sœur et lui promet à voix haute :

« Je te protégerai et on va s'en sortir toutes les deux.

Surprise, 3 redresse la tête et regarde 5. Elle connaît cet air résolu. Mais c'est elle la grande sœur, c'est à elle de veiller sur la plus jeune. Elle répond juste :

- Oui, on va s'en sortir. Mais c'est moi qui te protégerai.

Silence. 5 retire lentement son bras.

- On n'a plus qu'à attendre. » rappelle 3.

Attendre en silence... 5 ne sait pas de quoi parler avec 3. Qu'est-ce qu'elle aime, qu'est-ce qui l'intéresse, cette inconnue qui est sa sœur ? Les professeurs, bien sûr. Mais c'est un sujet qu'elles ne peuvent aborder que par voie tech, et 3 n'aime pas parler de cette manière sans nécessité. À part ça... non, 5 ne trouve aucune idée. Elle s'assoit et se recroqueville sur elle-même.

L'attente sera longue.

Les Techs - Tome 1 : les secrets du LaboratoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant