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Quant à moi, je décide d'appeler à la maison de mon enfance et heureusement je tombe sur la seule personne que j'aime encore dans cette maison : Mme Berthe Grasfield, la gouvernante et en quelque sorte ma deuxième mère.

- Allô? Je tiens à vous dire que monsieur est absent, veuillez rappeler plus tard
- Non, c'est moi, Jane.
- Ah bonjour. Comment tu vas ?
- Bonjour, je vais bien merci et toi ?
- Je vais aussi bien. Que puis-je faire pour toi ?
- À vrai dire, je voulais qu'on discute sur quelque chose
- Oh! Sur quel sujet, tu sais pour toi je suis toujours disponible
- Oui, je le sais Berthe. Je voudrai que tu me parles un peu plus de ma mère, ce qui se passait à la maison et tout.
- Avec plaisir. Mais je pense que ce serait mieux qu'on le fasse en tête à tête. Il y a tellement de choses que tu dois savoir
- Que je suis bête! Bien sûr qu'on va le faire quand on va se voir. D'ailleurs même, je suis en congés donc je peux passer à la maison tout de suite.
- Pas de problème. Je t'attends
- Ok.

Ce fut ma dernière parole avant que je ne raccroche et embarque pour aller à la maison de mon père qui est à trente minutes de chez moi. La route fut calme et déserte, rares étaient les voitures qui roulaient sur mon chemin. En même temps, nous sommes vendredi, en plus c'est l'après-midi, les gens travaillent encore sûrement et ne sont prêts à rentrer qu'à partir de vingt heures. Je sais ce que c'est.

Je suis arrivée et constates qu'il n'y a pas la voiture de mon père. Il n'est pas là, tant mieux, ce n'est pas pour lui que je suis venue. Détrompez-vous, je ne le déteste pas mais le problème c'est qu'il n'y a jamais eu un courant qui passe entre nous. C'est toujours tendu, à croire qu'on se fuit mutuellement pour une raison inconnue.

Quand je franchi le seuil de la porte, je vois Berthe venir en ma direction, toute joyeuse, pour me serrer contre elle.
<< Mais qu'est-ce que t'as grandi ! Tu es devenue une très belle jeune femme, Jane. C'est à peine si je te reconnais encore ! >>, elle s' exclame en me regardant de haut en bas. Comme à mon habitude, je souris et danse dans ma tête face à ses paroles. C'est vrai qu'on me le dit tous les jours mais je suis toujours aussi contente quand c'est Berthe qui le dit. Au moins je sais qu'elle ne le dit pas pour me faire plaisir, mais me le dis parce que c'est ce qu'elle voit. Il faut dire que cette femme avec qui j'ai passée tout mon temps, n'est pas du genre à garder sa langue dans sa poche.

Après notre petite étreinte, elle se place devant moi et nous allons à la véranda où des cookies nous attendent sur la petite table qui n'a que deux chaises. On s' y asseoit et c'est après quelques secondes de silence que je décide de parler :
- Tu savais que ma mère avait une tumeur? Elle me regarde et je vois dans son regard qu'elle se sent mal à l'aise. Elle le savait. Ça se voit dans ses yeux, inutile de le nier. Elle met du temps à me répondre mais fini par céder
- Oui...mais s' il-te plaît ne me demande pas comment elle est morte. Je n'en sais rien
- Ne t'en fais pas pour ça mais quand comptais-tu me dire pour la maladie de ma mère ? Je ne comprends pas vraiment. Je peux comprendre qu'étant plus jeune, j'aurai eu un choc mais qu'advient-il de maintenant? Je lui demande et elle ne fait que me regarder, la bouche close.
- Je t'en prie, réponds moi. Je redemande, la voix un peu plus calme que précédemment
- C'était une volonté de ta mère. Elle me répond et je tombe des nues.

Je ne peux pas croire une chose pareille. Ma mère? Me cacher sa maladie? Non, je ne comprends pas. Qu'est-ce qu'il y a de mal à ça? Ok, c'est pas jolie à entendre, des gens meurent suite à cette maladie, si bien que les scientifiques font des recherches pour trouver des solutions mais c'est pas comme ci c'était une malédiction. Décidemment, je n'en finirai pas d'entendre ! Une de ses volontés, dans quel but ?

Me sortant de mes pensées elle continue à dire :
- C'est bizarre, je sais, mais chacun a ses raisons. Et ses raisons à elle étaient plutôt personnelles. Elle me disait que tous les jours, malgré sa maladie qui lui rongeait de l'intérieur, c'était toi, sa seule fille qui lui donnait l'envie de continuer de vivre, de se battre pour te voir grandir. Tu étais son souffle de vie. Elle s' arrête et quelques larmes viennent se baigner sur ses joues, provoquant en moi, un pincement au coeur. Je n'aime pas voir les gens pleurer. J'ai toujours l'impression que je suis la cause de leurs chagrins. C'est surprenant je sais mais c'est comme ça que je me suis faite des idées, dans la solitude.

Reprenant ses idées peu à peu, je lui demande, un peu confuse :
- Sa maladie est apparue à quel moment ?
- Je n'en sais rien. Apparemment, elle le cachait. Ton père l'a su quand il l'avait emmenée de force à l'hôpital pour faire un check-up, tu avais cinq ans.
- Oh ! Elle avait vécu plus de trois ans avec sa tumeur ?! Elle hoche la tête en signe de réponse positive avant de reprendre :
- Ta mère me disait tout le temps qu'elle te chantait les chansons le soir, avant que tu ne te couches mais nous savions bien que c'était une même chanson. Elle disait qu'elle le faisait pour marquer une empreinte en toi, comme quoi si un jour tu passes à côté de cette chanson là, qu'elle soit la première personne à qui tu penses. Il faut dire que ta mère adorait chanter, si bien qu'elle a failli en faire de sa passion, son métier mais bon, elle s'est tournée vers autre chose. Elle me disait aussi qu'elle aimait bien votre rituel, en fait ce qu'elle aimait le plus c'était comment tu la regardais quand elle chantait. Elle se sentait importante à tes yeux, un peu comme une héroïne comme elle aimait tant dire. Si tu veux mon avis, elle ne voulait pas que tu saches pour sa maladie parce qu'elle voulait que tu conserves en toi, toujours cette image d'héroïne et non de celle qui meurt à petit feu, amaigrie à cause des douleurs et faisant d'aller bien pour se cacher. C'était un portrait bien trop triste à son goût.

Cette fois ci, elle me sourit, un sourire franc et rempli de bonheur. Elle paraît contente, satisfaite et en paix. Pourquoi ? Je ne sais pas et je tiens bien à le savoir :
- Pourquoi autant de légèreté soudainement, Berthe
- Jane, ça fait dix-sept ans aujourd'hui que le drame est passé mais cependant elle reste toujours dans nos coeurs et avant sa mort, elle m'a demandé de ne te rien dire. J'y suis arrivée mais j'ai trouvé que pour la première fois de ma vie, la vérité doit être révélée. En le faisant j'ai rompu une promesse mais au moins je sais que si je meurs, on ne va pas m'enterrer avec une piste susceptible de te mener au coeur de la vérité de sa mort. Je me sens libre avec le sentiment de ne rien devoir à quiconque. Voilà pourquoi tu me vois prise d'autant de légèreté.

Je ne voulais qu'elle me réponde par une phrase simple mais il s'est avéré que ma question ait été plus profonde que je le pensais. Elle se sent légère parce qu'elle pense avoir dit ce qu'il fallait au bon moment, qu'elle n'aura pas le regret qu'on l'enterre avec cela. Tout ça pour une maladie cachée. Je n'en finirai donc pas d'entendre de cette histoire.

En regardant un peu plus Mme Berthe, je remarque qu'elle n'a pas beaucoup changé. Elle a toujours un visage arrondie sauf qu'à présent on y ajoute à son décor immuable, des rides marquant son âge avancée. Elle n'a pas changé de style vestimentaire, toujours dans le vintage mais sa peau n'est plus aussi brillante qu'avant. Même sa voix a pris une autre teinte, elle paraît plus fatiguée. Elle commence à prendre de l'âge.

Je me lève de ma chaise, marquant ainsi mon départ et elle m'accompagne jusqu'à ma voiture. Arrivées au parking, je la serre dans mes bras, encore une fois, avant de monter et démarrer le moteur. Elle me lance un << à bientôt >> et je lui réponds d'un signe de main.

Il est vingt heures quand j'arrive chez moi, fatiguée par la journée.

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    Alors, ces retrouvailles entre Jane et Mme Berthe?
    Ça vous inspire quoi ?
   



Une Chanson, une histoireWhere stories live. Discover now