Du vert dans les yeux

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- Il n'est pas là ton super pote ? Axel c'est ça ? demande Ethan en souriant de toutes ses dents.
- Euh non, il n'est pas là. Et c'est Alex, pas Axel, dis-je en fronçant les sourcils.
- Ya de l'eau dans le gaz ? me demande Emory comme si on se connaissait de longue date.
- Non, pas du tout... C'est juste moi, je suis un peu... Imprévisible on va dire. Et bizarre. Et je ne sais pas me décider.
- Te décider à propos de quoi ? demande Louis en enfournant sa 6ème part de pizza.

Je lève les yeux vers le plafond comme si il allait m'aider à répondre. Puis je regarde Louis dans les yeux, et je dis dans un murmure:

- À propos de tout.

Ma phrase semble rester en suspend pendant une éternité. Soudain, je brise le silence en espérant détendre l'atmosphère.

- Au fait, pourquoi vous êtes là ? Je veux dire, chez moi ?

Les mecs explosent de rire comme si c'était le truc le plus drôle qu'ils aient jamais entendu. J'ouvre grand les yeux en haussant les épaules.

- On devait aller chez Harry, commence à expliquer Luke.
Il sourit. Deux jolies fossettes se dessinent sur son visage.

- Mais il se trouve qu'il s'est disputé avec sa copine qui, je cite, "ne veux pas de scélérats mal élevés qui squattent la maison pour manger de la pizza surgelée", termine Emory d'un ton triomphant.
- En plus c'est pas des pizzas surgelées, marmonne Luke.

***

- Tu retournes en cours demain ? me demande Louis lorsque nous sommes tous les deux dans la cuisine pour faire du café.

Les voix des garçons me parviennent. Ils rigolent. C'est étrange d'entendre autant de gens rire. Je souris en versant le café dans des tasses.

- Je ne sais pas, j'aimerais bien. Je vais voir comment je me réveille demain, et si je me sens mieux qu'aujourd'hui, j'irai. Pourquoi ça ?

Louis se moque de moi et répond:

- Pour savoir.

***

Il est presque 2h du matin quand les garçons se décident enfin à partir de chez moi. Je suis crevée, et je dois ranger l'appart.

- Je vais rester pour t'aider à ranger, si tu veux, me propose Louis.

Je fais une bise à tout le monde, et tente de le dissuader. Mais il insiste, et je n'ai vraiment pas le courage de lui refuser.

Pendant que je vais chercher une écharpe dans ma chambre, j'entends une douce mélodie s'échapper du salon. Louis a branché son portable sur ma chaîne. Je reconnais tout de suite Hotel California. C'était ma chanson préférée lorsque j'étais en terminale. Louis commence à chanter en essuyant les assiettes que je lave une par une. Il me fait rire. La musique est vite couverte par le bruit de l'eau brûlante qui s'écoule et celui de nos rires un peu trop sonores pour que les voisins l'apprécient.
Une demi-heure plus tard, tout est propre et je m'affale sur le canapé. Louis me saute dessus et m'étouffe presque. Je ris pendant que nous nous asseyons correctement.

- Alors, tu aimes l'Australie ? me demande Louis, un sourire au coin des lèvres.
- Oui, beaucoup ! Mais c'est quand même très différent de la France.
- Ca te manque de ne plus habiter là-bas ?
- Je ne sais pas si c'est le fait de vivre là-bas qui me manque. Je pense que c'est surtout que j'avais mes repères, et toutes mes amies y vivent encore. Elles me manquent terriblement, mais je n'ai pas trop le choix.
- Tu pense que tu y retourneras bientôt ?

Je regarde Louis, et je sais que de l'espoir brille dans mes yeux. Je baisse mon regard sur la couverture dans laquelle  je suis emmitoufflée

- Je ne sais pas... J'espère, mais le billet d'avion coûte très cher. Peut-être dans un an ou deux, je ne sais pas. Il faut que je trouve un job pour les vacances et les week-ends, mais c'est compliqué car je dois aussi bosser mes cours. J'ai envie de faire tellement de choses que j'ai peur de n'arriver à rien.
- Ouais, je comprends ce que tu veux dire. Mais d'un autre côté c'est cool d'avoir pleins de projets.

J'apprenais alors que Louis avait vécu une partie de son enfance en Nouvelle-Zélande et qu'il avait déménagé avec sa famille pour venir en Australie quelques années auparavant. Ce changement avait été assez simple car ses deux parents étaient Australiens. Il avait une petite sœur qui avait 15 ans. Elle s'appelait Jullybean. Louis était rendu à son avant-dernière année d'étude. Il voulait être ingénieur du son. Je le trouvais assez intéressant. Comme il me l'avait dit quelques jours plus tôt, il bossait  à la pizzeria pour économiser afin de se payer un nouvel appart.

- Ethan et Harry sont des gars géniaux, mais ils ne soccupent pas vraiment de la bouffe ou de la vaisselle ou du ménage. Et puis, avoir un endroit à soi, c'est quand même super cool.

J'étais bien d'accord. Louis n'avait pas repris ses études cette année. Il n'avait pas les moyens de payer les frais de scolarité de cette année, et ses parents n'étaient pas vraiment en mesure de l'aider. Alors il avait prit une "année sabbatique forcée". Ca lui plaisait beaucoup. Il faisait ce qu'il voulait, quand il voulait. Il n'avait aucune contrainte. Il pouvait se coucher tard, manger des pizzas tous les jours, voyager et visiter tous les musées du pays si cela lui chantait. Je souriais. Il avait beaucoup de chance.

- Moi aussi je voulais prendre une année sabbatique, dis-je. Je voulais faire le tour de l'Australie, aller à la Nouvelle-Orléans, visiter le fin fond du Cambodge, faire de grands festivals en Thaïlande... Mais je ne pouvais pas le faire seule, et prendre une année sabbatique coûte assez cher. Et ma mère n'était vraiment pas rassurée... Je devais le faire avec ma meilleure amie, mais... Ca ne s'est pas fait.
- Pourquoi ?
Louis me regarde avec ce petit air curieux que je lui ai déjà vu. Il sourit, et je regarde l'ombre de ses cils qui glisse au-dessus de ses yeux pendant quelques secondes.

- Aélia voulait faire une école d'ingénieur ou aller à science politique à Paris, et c'est très sérieux. Son père est chirurgien  et sa mère scientifique. Alors, ils n'ont pas accepté qu'elle le fasse avec moi. Pourtant, elle aurait très bien pu. Aélia est une bonne élève, elle est intelligente, et très réfléchie. Enfin, la plupart du temps... dis-je en riant. Finalement elle fait médecine pour devenir acupuncture. Mais je pense que si elle avait vraiment voulu le faire, elle l'aurait fait. En France, la plupart de mes amies étaient... De très bonnes élèves, avec des parents qui gagnaient très bien leur vie. Leurs aînés avaient fait médecine ou des études pour devenir avocat, et vivaient dans un très bel appartement dans le 15ème ou 16ème arrondissement de Paris. Pas vraiment le genre de choses qui se passaient dans ma famille. Je suis l'aînée, et mes parents ont toujours eu des problèmes d'argent. Moi je voulais voyager, rencontrer des gens et de nouvelles cultures. Faire la fête, m'amuser, écrire et surtout vivre. Mes amies ne sont pas vraiment de ce goût là. Enfin, elles veulent aussi voyager. Mais les études d'abord, la famille d'abord, le travail d'abord. Pas pour moi. Je ne veux pas finir mes études, prendre un appartement, rencontrer quelqu'un, acheter une maison, faire des enfants, me lever tous les matins en me disant que je pourrais être au bout du monde. Pendant que la plupart de mes amies se demanderont ça, moi je serai au bout du monde.

Je respire bruyamment. Mon petit discours m'a fatiguée. Je n'avais jamais dit tout ça à qui que ce soit. Je me frotte les yeux. Il est vraiment tard. Louis me regarde sans rien dire. J'ai l'impression que ça dure une éternité. Il se penche un peu vers moi, et murmure:

- Tu as du vert dans les yeux. C'est magnifique.

Je ne sais pas quoi répondre. Alors je ne dis rien.

Louis se penche doucement pendant que mon corps ne semble pas fonctionner. Ses lèvres effleurent les miennes, et il m'embrasse juste au coin de ces dernières.

- Je ferai mieux d'y aller, dit-il dans un sourire.

Il se lève et se dirige vers la porte. Lorsqu'il l'ouvre sèchement je sursaute et je me lève d'un bond. Cet élan semble le surprendre, il me regarde, et sans savoir pourquoi je le serre dans mes bras. Je respire son odeur, les yeux fermés, puis je relâche mon étreinte. Il sourit et s'en va. Je ferme la porte et j'entends ses pas dans l'escalier. Puis je vais à la fenêtre de la cuisine. Je le vois qui apparaît, il me regarde et sourit en faisait un signe de la main. Puis, sans avoir le temps de lui répondre, il disparaît, seul, dans la nuit.

Et j'ai comme une impression de déjà-vu. Alex était à sa place quelques jours plus tôt. Est-ce que je vais gâcher toutes les relations que j'ai débuté ?

- Reprends-toi, Rose, je me murmure.

Rosie Where stories live. Discover now