Bleu nuit.

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Qu'est ce que tu écrivais toutes ces années dans ce cahier usé, quoi que je n'ai jamais pu voir, pas même aperçu un seul mot, qu'est ce que tu m'as caché, ces pages lourdes sur les étagères, qu'est ce qui était si terrible pour que ça t'empêche de fermer les yeux quand on en parlait ?


Je m'étais réveillée ce matin, ivre de cette nuit sans sommeil, les yeux vers le plafond bleu nuit décoré de tes éternelles étoiles phosphorescentes, je t'avais regardé au bout du lit, tu dormais, un poing serré contre ton torse, l'autre glissé sous ton crâne, comme toujours, je sentais ton souffle irrégulier sur mon épaule froide, j'écoutais ton sommeil en fermant les yeux.  Je me suis assise en tailleur sur ton lit, la pluie tambourinait à la fenêtre, j'ai souri. J'adorais la pluie, avec toi. T'en faisais des aventures incroyables, elle me détendait, me faisait rire, avec toi elle me rendait plus belle, tu me le répétais. T'avais cette façon de rendre les gens heureux, tout en tirant la gueule la plupart du temps. J'ai tourné les yeux vers toi et j'ai effleuré ta joue de mon index. Ta joue était glacée, ta peau était toujours glacée, et pourtant, t'étais le plus brûlant des soleils que j'ai connu. J'ai vu tes grains de beauté dispersés sur ton visage et tes épaules, tes cils papillonnants, tes cheveux en bataille, tes mains pleines de peinture et de traces de stylo, d'écorchures. Sur tes joues, j'ai vu des traces de larmes, mon cœur s'est pincé. Qu'est ce qui t'arrivait ? Depuis quelque temps, tu pleurais souvent en pleine nuit sans que je ne sache pourquoi, j'étais démontée tous les matins. Je me suis levée, j'ai remis la couette sur tes épaules, j'ai caressé tes cheveux et je me suis assise au pied de ton lit. Le parquet était froid, j'étais en nage, j'avais des frissons, j'avais peur, je me posais mille questions en même temps.

Qu'est ce qui te terrifiait à ce point ? Qu'est ce qui te rendait aussi étrange pour la première fois de ta vie ?

Mes yeux se sont posés, partout. Ton bureau noir, l'étagère au dessus contenant ton écriture, partout. Les énormes bocaux renfermant ton argent, tes crayons, tes petits papiers froissés, tes souvenirs. Les énormes bocaux renfermant notre amitié, à jamais fermés. J'ai regardé la fenêtre, la pluie battait toujours dehors, tu dormais encore, et j'avais cette sensation que tout s'échappe lentement, que rien n'est plus compréhensible. Ta tristesse était un mystère, ce matin là, t'étais un mystère. J'ai contemplé l'énorme carton caché au coin de la pièce, celui qu'on avait fabriqués l'été de nos 5 ans, les doigts encore minuscules de l'enfance, nos cheveux de la même couleur, notre monde imaginaire, notre carton de quand on était tristes. C'était un refuge, un repère coupé du monde, utilisé tellement de fois que les coins étaient cornés et le tout manquait de s'effondrer. A l'époque , on rentrait tous les deux dedans, sans se toucher, maintenant nos pieds s'y touchent et on ne peut pas s'empêcher d'en rire. Quand je m'en suis souvenue, j'ai posé mon menton dans ma main, soupiré, fermé les yeux. 

Tu étais déjà réveillé, assis en tailleur dans ton lit, la couverture autour de la taille, tes cheveux décoiffés, les yeux encore pleins de sommeil, et tu me regardais. Tu t'es approché et m'a soufflé dans l'oreille. tu savais très bien que je détestais ça, et tu le faisais tout le temps, justement parce que je détestais ça et que m'emmerder était une de tes occupations préférées. Tu m'as soufflé :

- A quoi tu penses ?

- A nous gamins.

- Pourquoi ?

- T'as encore pleuré cette nuit. J'aime pas.

- Je fais des cauchemars.

Je sais très bien que tu pleures jamais pour ça, pourquoi tu me mens ? Qu'est ce que j'ai fait ?

Il a baissé la tête et s'est passé la main dans les cheveux, comme toujours quand il est gêné. Il s'est mordu la lèvre inférieure, on avait cette manie en commun, quand on est désemparés. Il a baissé la tête, je sentais qu'il allait parler, mais il a ouvert la bouche et l'a refermée. Je l'ai regardé pendant des minutes tellement longues qu'elles m'ont paru des heures. Il avait l'air complètement perdu, j'ai grimpé à coté de lui et je lui ai pris le menton. J'ai levé sa tête pour qu'il me regarde. Je voyais bien que ça n'allait pas, vraiment pas. Il a planté son regard dans le mien et j'ai vu à quel point ma question l'avait blessé. Je lui ai murmuré "Je sais pas ce qu'il se passe, mais ça me tue de te voir comme ça. Quoi que ce soit, n'importe quoi, qu'importe ce qui te fait peur, je suis là. Je serai toujours là, d'accord." Il a tenté de sourire, mais une larme a roulé sur sa joue. Je l'ai essuyée avec mon pouce, il m'a prise dans ses bras et pendant un moment, son visage enfoui dans mon cou, il a pleuré comme si le monde entier s'était écroulé. J'avais pas envie de comprendre, mais c'est son monde à lui qui le quittait petit à petit, sans que je m'aperçoive de rien.

Et c'était trop tard. trop tard pour avoir pu lui dire "Je t'oublierai jamais. Je vis avec ton souvenir, je refuse de te lâcher même si ça fait mal, très mal. Je voudrais te raconter plein de choses, mes premières fois, mes peurs et mes doutes, je voudrais que tu puisses voir comme j'ai changé, comme tout autour de moi a changé. Comme notre amitié ne changera jamais."



Mensonges.Where stories live. Discover now