Un moment d'inquiétude

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Francesco se posta devant l'opéra à seize heures. Il jeta un œil inquiet pour voir s'il trouvait Julia. Il afficha un visage contrarié en constatant qu'elle n'était pas encore arrivée. Ils avaient pourtant rendez-vous à seize heures trente. La moindre des choses lorsque l'on a rendez-vous, c'est de se présenter en avance pensait Francesco.

Francesco chercha à déterminer le temps d'avance minimum que toute personne devrait avoir. Une heure, c'était peut-être trop. Si l'on doit arriver à quinze heures trente pour seize heures trente, autant se donner rendez-vous à quinze heures trente. Encore qu'alors, puisqu'il faut être en avance...

Non, trente minutes d'avance paraissaient à Francesco le délai idéal. En cas d'imprévu, il reste tout à fait possible d'arriver à l'heure. Cela dépend de l'imprévu bien sûr et Francesco se demanda quels types d'aléas il était nécessaire d'intégrer dans les retards potentiels.

Fallait-il inclure les tremblements de terre, les catastrophes naturelles ? Francesco décida que non. D'une, il en survenait assez peu lorsque l'on vivait à Paris, d'autre part le temps à prendre en compte dépassait de loin le raisonnable. Il fallait partir la veille, au minimum, pour espérer arriver à l'heure en cas de coulée de lave.

Fallait-il considérer la coulée de lave comme ayant une incidence sérieuse de se produire ? Francesco se demanda à partir de quelle probabilité un évènement devrait être inclus dans son périple. Il avait lu quelque part que les chances qu'un avion tombe sur Paris frisaient les 0,0001%. Cela paraissait suffisamment bas pour que l'on ignore ce type d'aléas. À l'inverse, la probabilité que le RER ne fonctionnât pas ou mal dépassait les vingt pour cent.

Francesco en vint à s'interroger : fallait-il considérer les dysfonctionnements de RER lorsqu'on ne prenait pas le RER ? A priori, la réponse s'imposait : non. Mais Francesco se méfiait des raisonnements triviaux qu'il trouvait souvent réducteurs. Prenons le RER A. Lorsqu'il est en panne, tout le monde se reporte sur la ligne 1 et, presque mathématiquement, le trafic est interrompu ou cafouille, très peu de temps après. La conclusion tombait, sans appel : si on empruntait la ligne 1 pour se rendre à l'Opéra, il fallait intégrer les problèmes de RER A.

Bien. Qu'inclure d'autre ? Les agressions ? Oui et non. « Car si je me fais agresser » pensait Francesco, je n'ai plus envie d'assister à un opéra. L'autre non plus, s'il sait se tenir, n'aura pas envie d'aller à l'Opéra avec une personne qui vient de subir un tel traumatisme. Un problème de moins.

Francesco continua à lister les risques, les probabilités, et conclut que trente minutes d'avance à un rendez-vous représentait le meilleur compromis entre la sécurité et le réalisme. Avec trente minutes d'avance à un rendez-vous, à Paris, on s'assurait quatre-vingt-dix-neuf pour cent de chance d'éviter un retard.

Il regarda sa montre : seize heures quinze. Et Julia restait introuvable. Il marqua un geste d'irritation un peu plus prononcé que précédemment. Quinze minutes. Non, vraiment, les gens n'étaient pas sérieux. On ne se présente pas avec quinze minutes d'avance seulement.

Mais, peut-être que Julia était arrivée en même temps que lui et attendait dans un des cafés environnants. Francesco se mit donc à sa recherche. Sans la trouver. Chaque fois qu'il entrait dans un bar, il en ressortait déçu et irrité. « Vraiment » ! Il avait bien conscience qu'avant seize heures trente, il n'avait pas vraiment de raison de montrer de l'impatience. Après tout, Julia ne serait en retard que dans... huit minutes.

Et alors, que ferait-il ? Commencerait-il à angoisser ? De fait, il avait déjà commencé. Francesco avait beaucoup travaillé sur lui-même pour ne pas laisser son anxiété lui pourrir la vie. À cinquante ans, il se considérait comme un adulte pondéré qui devait encore composer avec une angoisse existentielle.

Nouvelles noires pour se rire du désespoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant