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SAISON 2, épisode 1

Et c'est reparti pour un nouvel atelier d'écriture mes enfants ! Pour cette saison 2, je vais vous raconter comment s'est passé mon premier atelier de l'année 2018, qui s'appelle « La vie est un roman : écrire à partir de son quotidien ». Il se déroule en 3 séances de 3h, pendant 3 jours d'affilée. En résumé, je rentre chez moi à 22h30...

J'ai tout de suite flashé quand j'ai vu le titre de cet atelier. Combien de fois vous êtes-vous dit « tiens, ça, je pourrai mettre cette histoire dans un roman » ? Il peut s'agir de petites choses du quotidien ou des grands événements de votre existence, de vos histoires d'amour, de vos aventures d'amitiés et tant d'autres choses qui font notre vie, tout simplement : souvenirs, anecdotes, histoires de familles, etc. Mais on peut aussi écrire à partir d'une conversation entendue dans un café ou dans le métro. Rappelez-vous de ces deux adorables petites vieilles qui sirotaient un chocolat chaud au bistrot du coin et qui se racontaient leur vie : « Après Albert a été tué à la guerre et j'ai dû élever les enfants toute seule pendant 12 longues années. Et puis j'ai rencontré Henri et ma vie a changé ».

Hé oui, il arrive que la matière d'un roman ne soit pas plus compliquée que ça. Comme on dit, parfois, la réalité dépasse la fiction.

La première séance de cet atelier s'est déroulée mardi soir. Vous voyez, c'est tout chaud ! J'étais beaucoup moins stressée que pour mon atelier de l'année dernière sur les faits divers. Je pense que le fait de savoir comment un atelier se déroule a dû me soulager et que j'ai dépassé le stade d'avoir peur de lire mes textes devant les autres. En effet (je vous le rappelle au cas où vous auriez oublié), dans un atelier on applique la règle de la bienveillance : cela signifie que quand quelqu'un lit son texte, on le critique gentiment, sans le juger, en disant ce qui est bien, ce qu'on a ressenti à sa lecture et ce qui peut être amélioré. Comme ça tout le monde se sent à l'aise, même les plus timides. Le but est de s'aider à écrire et d'échanger des idées, pas de se traumatiser ni de jouer au plus fort. Si on vient en atelier, c'est qu'on souhaite progresser. Donc pas de fierté mal placée !

Chaque atelier a un professeur différent. Notre prof sur le quotidien est une jeune femme très jolie (encore une à qui j'aimerais ressembler !), toute fine, rousse, avec des lunettes. Elle me fait un peu penser à l'actrice Isabelle Carré, vous voyez ? Sa voix est très douce et elle est vraiment gentille. La prof idéale !

Le groupe d'élèves se compose de 12 femmes... et un homme. Étrange, non ? Si j'étais sociologue, je me pencherais sur cette question. Quoi qu'il en soit, le seul homme du groupe est adorable et ressemble beaucoup à Adrien Monk !

Pour cet atelier, nous allons écrire sur un souvenir de Noël, ça tombe bien, c'était il y a peu de temps !

La prof nous a demandé d'écrire sur une feuille la date et le lieu d'un événement qui nous a marqué dans notre vie : mariage, rencontre, naissances, nouvel emploi, tout était possible. Ensuite elle a ramassé les feuilles et nous a demandé de penser très fort au souvenir de Noël que nous voulions raconter, de le visualiser dans notre esprit de la manière la plus précise possible : personnes présentes, lieu, couleurs, odeurs, ambiance...

Ensuite, elle nous a distribués les feuilles au hasard. Chacun se trouvait donc avec la date et le lieu inscrit par une autre personne. Premier exercice : utiliser cette date et ce lieu pour raconter notre souvenir ! Pfiou !! Pas évident ! Mon souvenir se situait au Noël 2013, chez mes parents. Sur la feuille, un des élèves a écrit « 2002, Aubervilliers ». Bah mince alors ! Il va falloir que je transpose mon souvenir en 2002 à Aubervilliers ! Quelle histoire ! La prof nous a laissé 30 minutes pour écrire notre texte. En ce qui me concerne, mon souvenir était le suivant : nous fêtions Noël chez mes parents. Il y avait mes 2 sœurs, mon frère, son épouse et ses deux filles (mes nièces), ainsi que mes parents bien sûr.

A cette époque, ma nièce devait avoir 6 ou 7 ans. Et elle était déjà terriblement craquante ! Toute fine, toute douce, avec ses grands yeux bleus et ses cheveux châtains. Une crème de petite fille comme toutes les femmes rêveraient d'en avoir. Subitement, ma belle-sœur s'est mise à lui hurler dessus parce qu'elle ne mangeait pas sa dinde aux marrons. Elle a en plus culpabilisé la petite en lui disant que son grand-père avait cuisiné toute la journée. Je n'ai pas supporté qu'elle utilise mon père pour s'en prendre à ma nièce qui au fond ne faisait rien de mal. La petite s'est mise à pleurer et dans ses yeux je lisais qu'elle ne comprenait même pas ce qu'on lui reprochait. D'habitude dans ces cas-là, je prends sur moi et je ferme mon clapet pour ne pas créer de disputes. Le pire, c'est qu'aucun membre de ma famille se semblait vouloir affronter ma belle-sœur. Alors j'ai littéralement explosé pour défendre ma nièce. J'ai hurlé plus fort que ma belle-sœur en lui disant de lui foutre la paix. Voici donc ce souvenir transposé à Aubervilliers, en 2002...

Le serveur de ce restaurant ne me revient pas. Je savais que ce n'était pas une bonne idée mais Élodie parvient toujours à nous embarquer dans des lieux improbables. Pourquoi fêter ce Noël 2002 dans un restaurant d'Aubervilliers ? Parce qu'une des collègues de Madame lui a recommandé. A huit ans, Caroline aurait préféré aller chez ses grands-parents, je le sais, je l'ai lu dans la déception bleue de ses yeux. Moi son père, je n'ai jamais mon mot à dire. Il faut préciser que je suis plutôt taiseux, ce qui arrange bien mon épouse. Nous voici donc au Maharadja. Un misérable sapin perd déjà ses épines dans un coin. Ma fille n'aime pas manger épicé, encore moins indien, elle est trop petite. Mais ça bien sûr, sa mère s'en moque. En revanche, elle n'a pas manqué d'inviter toute la famille : mes parents et mes deux sœurs y compris.

Sur la nappe, des éléphants du Kérala me lancent des regards lourds de menaces. Ma plus jeune sœur, Cécile, assise à mes côtés reste aussi silencieuse que moi. Le reste de la famille devise pour faire passer le temps. Le serveur à l'œil torve nous apporte enfin les assiettes chargées de Kedgeree, de poulet tandorii et de naan au fromage. Mais en face de sa mère, Caroline ne mange rien. Elle est peut-être effrayée comme moi par les yeux globuleux des éléphants. Élodie ne dispose pas d'une once de psychologie, et les foudres maternels ne tardent pas à s'abattre sur les petites épaules couvertes de dentelle rose. Hystérie, crise de hurlements, on peut bien appeler ça comme on veut, ça surprend toujours. Caroline sursaute face au déluge de récriminations. Comment peut-elle ne pas manger alors que toute la famille est venue pour son anniversaire ? Alors que ses parents ont invité toute la famille ? Les arguments d'Élodie sont fallacieux, je le sais. Ça ne sert à rien de forcer un enfant à manger, ça le terrorise encore plus. Les épaules tremblotantes sont désormais secouées par des sanglots, Caroline lance à sa mère des regards qui ne comprennent pas. Mais ma femme est partie comme un coup de canon : elle ne lâchera pas l'affaire : elle ne supporte pas que nos enfants ne soient pas au garde-à-vous devant le reste de la famille. Cela remet en cause ses règles de bonne éducation. Elle n'a pas d'enfants : elle a des soldats. Autour de la table, on ne pipe pas mot. Chacun tente d'hypnotiser son assiette. Même moi. Une fois Élodie dans ses fureurs, personne n'ose plus la contrarier : elle fait les mêmes yeux que les éléphants.

Soudain c'est le coup fatal, un tremblement de terre, un ouragan qui se déclenche. Excédée par les reproches disproportionnés que ma femme fait à ma fille, c'est sa tante Cécile qui vole à son secours. Coups de poings sur la table, verres renversés, les assiettes tremblent. Cécile ordonne à ma femme de se taire et défend le droit de Caroline à profiter de sa fête. Élodie pique un fard et range ses baïonnettes. J'ignorais que pour faire taire une grande gueule, il suffisait de gueuler plus fort.

L'atelier d'écritureWhere stories live. Discover now