21 : La magie de l'hiver.

Depuis le début
                                    

— T'inquiète, il y a bien un détenu qui voudra aussi passer du temps avec toi.

— Aussi sexy qu'Icare Fargès ? Je cherche encore.

Les deux hommes rigolent l'air de rien. Icare observe un instant Miguel, et c'est à ce moment-là qu'il se rend compte que le temps passe. Des ridules naissent au coin des yeux énigmatiques de l'argentin, qui se font plus petits. Son teint mate est fatigué. Son visage est plus mûr. Il a sa quarantaine bien entamée. Icare découvrait avec minutie son visage il y a quelques années, quand ils étaient l'un contre l'autre. Aujourd'hui, quand il observe à nouveau tous les détails, il y voit toutes les marques du temps. Il voit surtout que cela fait sept ans qu'il est enfermé dans ce centre pénitencier. Sept ans d'une vie anormale, et qu'il est au bord du gouffre.

Comment Miguel fait-il ? Icare ne sait pas depuis combien de temps il est en prison. Quand il lui demandait, il répondait « longtemps ». Quand on lui demandait dans combien temps il sortirait, il répondait la même chose. Et fait étonnant, il ne s'en plaignait jamais. Il subordonnait en France un coup d'Etat dans son pays natal. Tout avait échoué. Alors, il répétait toujours qu'il était mieux ici que dans une prison miteuse d'Argentine, en tant que prisonnier politique. L'histoire semblait tellement sombre qu'Icare ne demandait jamais de précisions.





Tout à coup, deux hommes entrent soudainement dans la cellule, un mastodonte de presque cent kilos de muscles et un africain qui semble bien petit face à lui, mais avec un sourire resplendissant.

— Je lui ai dit de rentrer en délicatesse, au cas où vous feriez des choses. Il n'écoute pas, affirme Marco avec un sourire moqueur.

— C'est chez moi maintenant, je rentre comme je veux, rétorque Abel en avançant dans le mince espace à la recherche de son gâteau aux pommes.

— En fait, on vous attendait. A quatre, les choses sont plus sympas, répond Icare avec un sourire vicieux, ce qui lui vaut un affectueux coup sur la nuque de Marco.

Icare sourit alors que son ami prend place sur le lit à côté de lui, alors que ce dernier se met à grincer d'une manière inquiétante. Si Simon arrive et s'y assoit, Icare doute que le pauvre meuble résiste à plusieurs silhouettes bien musclées.

Justement, le détenu aux allures de bûcheron canadien arrive dans la cellule, dans une chemise à carreaux bleus, mais surtout avec sa barbe rousse finement taillée, telle qu'il l'avait promise.

— J'espère que vous m'avez attendu, parce que je ne dis jamais non à une tarte aux pommes, rétorque ce dernier en s'asseyant sur une chaise.

— Tu arrives à temps, je ne sais pas si Icare aurait encore attendu longtemps, plaisante Miguel.

Au fond, c'est ça l'unique chose qu'aime Icare en prison. Outre qu'il soit à chaque fois la coqueluche de ses amis, datant de l'époque où l'impertinent jeune homme était arrivé ici à ses vingt-et-un ans et que tous les autres ne cessaient depuis le temps de voir un éternel côté enfantin chez lui, Icare aime plus que tout la complicité qui le lie aux autres détenus. C'est des boutades, des rires, des après-midis simples à manger une part de gâteau fait avec presque rien, oublier un temps soit peu la monotonie des jours enfermés et s'imaginer un instant ailleurs que dans un centre de détention.


Abel sert donc cinq grosses parts de gâteau, faisant l'unanimité chez ses convives : il est délicieux. Simon n'arrête pas de rabâcher des compliments, parlant même la bouche pleine. Puis les sujets de conversations vont sur tout et rien, des derniers ragots de la prison à la neige qui tombe depuis le matin même sur le bâtiment d'incarcération, des souvenirs de Noël et d'Abel qui parle de ce qu'il fera aux prochaines fêtes de fin d'années avec sa famille, quand il sera libre.

IcareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant