4. Premières leçons.

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Zilar contempla son salon d'un air satisfait. Les murs ocre, en pierre naturelle, restaient certes nus, mais le tapis épais qu'il avait dégotté suffisait à camoufler cette impression de vide. Il avait toujours aimé le noir, cette couleur qui aspirait la lumière, qui prenait sans donner. Etrange comme le noir était associé aux Sith, qui pourtant combattaient avec un sabrelaser, arme de lumière par sa nature même.

La lumière s'opposait aux ténèbres... en avait-il toujours été ainsi ? Nombre de Jedi avaient pourtant commis ce qu'ils reprochaient aux Sith, au nom de leur "justice" et des valeurs qu'ils considéraient comme incarnant un idéal de vie.

Zilar avait depuis longtemps compris qu'il en était autrement. L'égalité et la justice n'étaient que des mythes. Comment penser que des milliards d'êtres pensants souhaitaient vivre dans le même schéma ? Il était beaucoup plus intéressant de vivre pour soi, et non à travers les autres. Le Maître Sith n'était pas l'un de ces illuminés désireux de remodeler la galaxie pour instaurer un ordre parfait. Ni pour unifier les peuples et imposer une paix par la peur. Ces tentatives avaient d'ailleurs échoué. La Force n'était pas un lac placide, mais un cours d'eau bondissant.

Non, la vision des Sith que son maître lui avait transmise était beaucoup plus conforme à sa philosophie. Il était impossible de chercher à faire disparaitre les Jedi, tout comme il était impossible que ces derniers éradiquent un jour les Sith. Car leurs valeurs et leurs idéaux étaient universels, et chaque jour naissaient des centaines, des milliers, de jeunes gens sensibles à la Force, susceptibles de devenir Jedi ou Sith selon leur affinité avec elle.

Les Jedi comme les Sith n'étaient finalement que les gardiens de techniques et secrets découverts à travers des années d'études de la Force. Nombreux étaient pourtant ceux qui, méfiants, n'avaient jamais consigné leurs découvertes - notamment chez les Sith, où le pouvoir était jalousement gardé.

La connaissance restait le vrai pouvoir. Sa transmission était désormais son rôle.

La porte s'ouvrit dans un grincement désagréable. Zilar referma son livre d'un geste sec.

- Tu es en retard.

- Je suis désolé, j'ai ...

- Les excuses ne sont que des mots.

Avisant les vêtements déchirés de son disciple, il ajouta :

- Combien de temps comptes-tu les laisser faire ?

Penaud, Chloan ne répondit pas. Le Maître Sith soupira.

- Comment peux-tu prétendre être le protecteur attitré de cette Cinabre si tu te prends une raclée chaque soir ?

- Ils ont trop forts, et trop nombreux...

- Tu n'attaques pas le problème sous le bon angle.

- Comment ça ? demanda Chloan, à la fois perplexe et intéressé de trouver une solution.

- Ta soumission n'est pas une solution.

Le jeune garçon attendit une suite... qui ne vint pas.

- Nous verrons cela plus tard. Assieds-toi là, fit Zilar en désignant l'un des deux fauteuils encadrant un tapis charbonneux.

Chloan obtempéra, loin de l'enthousiasme débordant dont il avait fait preuve la veille. Le Maître Sith disparut quelques instants dans la cuisine, avant de ramener une théière fumante, dont il se servit un grand verre. Il s'installa confortablement dans le dernier fauteuil, en face de Chloan, ajustant les coussins pour soutenir ses lombaires.

Après dix minutes durant lesquelles il n'avait pas osé bouger, Chloan se lança :

- Heu, excusez-moi, je dois faire quoi ?

- Silence. Concentre-toi, et écoute.

Impressionné par le ton sec et sévère, le jeune garçon ne pipa mot. Se concentrer, mais sur quoi ? Cette nouvelle vie de Jedi lui avait paru excitante, elle se révélait déjà ennuyante. Si seulement Cinabre était là... Il aurait pu sans problème se concentrer sur elle, il n'en doutait pas. Les fugitifs instants où il l'apercevait étaient si peu nombreux...

Le temps semblait s'étirer à l'infini. Quand Zilar commencerait-il son instruction ? Le Maître buvait son thé lentement, à petites gorgées précautionneuses, et ne paraissait pas du tout disposé à consacrer son attention à une autre activité.

Chloan soupira. Son fauteuil se révélait inconfortable, sûrement un ressort qui avait sauté dans ce matériel obsolète. Il eut beau se tortiller, il ne parvenait pas à trouver une position agréable et il finit par s'immobiliser totalement après le coup d'œil courroucé de Zilar.

La nuit tombait, et il put avoir un aperçu de toutes les nuances du coucher du soleil, qui passa d'un rouge-orangé à un bleu outremer avant de glisser vers une faible lueur jaunâtre comme l'éclairage public prenait le relais de l'astre défaillant.

Alors que l'obscurité envahissait la pièce, Zilar, toujours absorbé par une quelconque contemplation du contenu de son verre, fit un bref geste du doigt. L'éclairage se mit en marche, repoussant les ténèbres.

Un mouvement attira son attention. Une araignée filait sur le mur, l'ombre de son corps se détachant sur l'ocre. Ses huit pattes s'agitaient frénétiquement comme elle gagnait le recoin entre une poutre et le plafond. Plusieurs secondes s'écoulèrent sans qu'elle ne reparaisse, et Chloan comprit qu'elle était sûrement absorbée par la création de sa toile. Il laissa échapper un soupir. Cette distraction n'avait finalement été que momentanée. Et Zilar ne semblait toujours pas s'intéresser à lui... Combien de temps lui faudrait-il encore patienter ? Le thé devait être froid, à présent. La vapeur s'était condensée sur les parois transparentes, sur lesquelles quelques gouttelettes glissaient paresseusement. Parfois, les feuilles infusées laissaient échapper une goutte du précieux liquide qu'elles retenaient. Chloan pouvait distinguer la petite bulle de liquide, dont le volume augmentait peu à peu, qui vacillait dans la lutte entre la capillarité et la gravité, dont un simple "ploc" trahit finalement la victoire de cette dernière, au terme d'un terrible suspens de plusieurs secondes.

Le jeune garçon se renversa dans son fauteuil, amer. Comme il aurait préféré être rentré chez lui ! La corvée de vaisselle lui paraissait un luxe. Au moins il se sentait utile. Le vieil homme lui avait seulement rabâché son discours, sans lui donner à apprendre quoi que ce soit. Etait-ce cela, être un Jedi ?

Le plafond méritait d'être repeint, observa-t-il comme ses yeux vagabondaient au gré de ses pensées. Des morceaux de plâtre s'étaient détachés ça et là. Il en compta dix-neuf. Devenue irrégulière, la surface créait un jeu d'ombres et de lumière à partir du seul lustre de la pièce.

Nul bruit ne parvenait de la rue, peu fréquentée. Seules flottaient dans l'air les effluves mentholés du thé froid. Rien d'autre que cette inactivité forcée. A désespérer.

- Oh, mais c'est qu'il se fait tard, fit soudain Zilar en consultant son chrono. Ta mère va s'inquiéter si tu n'arrives pas à l'heure pour le diner. Allez, file, la leçon est terminée pour aujourd'hui.

Chloan referma la porte sans répondre, avec suffisamment de force pour que Zilar esquisse un sourire satisfait.

Il s'était à peine écoulé deux heures.

L'Apprenti SithOù les histoires vivent. Découvrez maintenant