La librairie d'en face

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Je suis rentrée depuis plusieurs semaines et la vie a repris son cours, pas complètement parce que maintenant au café, je suis seule, Keith ne vient plus. Il a mis sa menace à exécution et je me sens de nouveau seule. Je dois faire de la peine à David parce qu'il vient parfois me tenir compagnie et me parler du nouveau livreur qu'il déteste presque autant que le premier. En un mois, nous avons tenté plusieurs subterfuges à son encontre mais il est tenace. David reste maussade, ça a quelque chose de très déprimant de voir ce grand type jovial migrer vers une sorte de troll à l'air renfrogné. Je crois qu'il aimait nous voir nous chamailler tous les matins, il attendait qu'il se passe quelque chose entre nous pour donner du sens à sa propre vie.

Un matin Charles m'accompagne, il tente tant bien que mal de nous consoler Cal et moi des émotions de ce fameux week-end. Je vois dès notre arrivée l'air curieux de David revenir au grand galop. Poliment et avec cérémonial, il sert Charles tout en l'observant avec attention. Charles n'a rien remarqué, c'est assez drôle d'être la seule à observer son manège.

— Alors c'est ici ? Ton café mythique ?

— Oui, ça te plait ?

— Ça te ressemble chérie.

Il jette un coup d'œil tout autour et regarde la vue de notre table. On aperçoit la librairie en face.

— Tiens, c'est marrant que tu ai choisi cet endroit.

— Comment ça ?

— Tu ne te rappelle pas ? Sérieux ?

— Mais de quoi tu parles ?

— C'est ici qu'on était venu tous les deux chercher un cadeau pour Cal y a ... un an et demi je dirais. Ça a l'air d'avoir changé de propriétaire mais je suis quasiment sur que c'est là.

— Quoi ?

— Mais si, c'était peint en rouge !

Je fronce les sourcils un long moment avant de me rappeler ce grand moment de honte. Et moi qui m'étais jurée de ne jamais revenir, qu'est-ce qui m'a pris ?

*

On était venu en mission sans Cal pour lui trouver un livre sur l'Islande, lui qui rêvait d'y aller.

Charles était absorbé par un livre sur les droits des homosexuels et moi, en fouillant, j'avais trouvé un livre en français. Autant dire qu'aucun de nous ne remplissait sa mission.

Je lisais distraitement quelques pages quand le propriétaire s'était dirigé vers moi et m'avait agressé en me demandant si je comptais l'acheter qu'il n'y avait pas marqué bibliothèque sur sa devanture.

Surprise, j'avais reculé comme prise au piège et buté sans ménagement dans la table juste devant la vitrine, renversant tout, comme un jeu de dominos.

Un tsunami de livre s'était abattu dans sa jolie vitrine bien ordonnée. A ma décharge, il y avait peu d'espace pour circuler, à la sienne, j'avais vraiment foutu une sacrée pagaille.

J'étais restée à demi hébétée à demi amusée devant l'enchevêtrement d'affaire qui s'étalaient devant nous, je me souviens avoir croisé le regard outré d'une jolie brunette de l'autre côté de la vitrine et m'être dit instantanément qu'elle devait être chiante. Son copain était caché par une capuche mais j'avais vu son sourire, lui devait déjà être plus sympa. J'avais bloqué un instant sur ce sourire avant d'être rattrapée par le temps présent, le libraire s'agitait à côté de moi.

Furieux, il m'avait montré les dégâts avec de grands gestes violents, il voulait que je l'aide à ranger mais il hurlait tellement que j'avais fui dehors, me heurtant au jeune couple et tombant à la renverse. Je riais comme une gamine en détalant que je ne prenais même pas la peine de m'excuser. L'homme à la capuche m'avait pourtant aidé à me redresser, j'avais frissonné en sentant sa main dans la mienne, il l'avait gardé quelques instants de trop et sa copine avait fait une remarque.

Charles était sorti juste derrière moi mais le libraire le tenait par le bras, il hurlait « Espèce de sale pédé » J'avais vu rouge et soudain j'ai balancé mon genou entre ses jambes, il a été suffisamment surpris pour lâcher mon ami et j'ai laissé Charles m'entraîner vers le métro, nous avons ri longtemps encore dans le wagon.

*

Je ne souris qu'à moitié, c'était un souvenir dont je n'étais pas spécialement fière. J'interpelle David.

— Le propriétaire d'en face à déménagé ?

— Oui, c'était un vieux con, y a un an ou deux, il a eu une altercation avec des jeunes et il n'arrêtait pas de raconter partout que la criminalité avait augmentée. Il a vendu à un petit jeune qui tient ça avec son père. Ils sont sympas comme tout.

Charles et moi nous ravalons notre sourire, si ça se trouve c'était nous les jeunes en question. Surtout qu'arrivés chez nous je m'étais rendue compte que j'avais embarqué le livre que je regardais quand l'autre vieux pincé m'avait alpagué.

Je frissonne, quelque chose m'a échappé je le sens.

J'avais oublié ce que c'était que d'être aimée (TERMINÉ)Where stories live. Discover now