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J'ai parcouru toute la ville en cherchant une chose que j'ignore. Mon dernier entretien avec cette femme me laisse un goût amer dans la bouche. Ses derniers mots s'ancrent dans mon esprit dans mon cœur. On me l'a déjà chuchoté plusieurs fois. Et j'ai déjà cherché mainte et mainte fois pour ne rien trouver finalement. Je ne sais pas qui je dois découvrir et je sais encore moins ce qu'elle a voulu me faire comprendre.

Je souffle et me redresse en observant la ville. J'aime cet endroit, je vois tout de là où je suis. Cette colline aux extrémités de cette cité que je fuis constamment me rassure. Ce lieu est un petit refuge qui me permet de garder un contact avec cette effervescence que je crains. La foule n'est pour mon esprit, que des ennuis. Des tas de sentiments, de peurs, de yeux qui m'angoissent. Alors à l'abri des regards, j'observe en silence ce monde lointain. La hauteur me permet de voir aussi bien les grattes-ciel que les pavillons éloignés. Parfois je m'égare dans mes pensées en imaginant une vie différente dans l'une de ces tours. En tailleur, avec des dossiers éparpillés sur un grand bureau. Pas de sensations, pas de ressentis, pas de voix, ni de visages. Ou bien encore dans une maison de banlieue avec une vie de famille. Un mari aimant et des enfants. Mes illusions me tourmentent autant que mes dons. Ce ne sont que des rêves impossibles. Les quelques hommes qui ont osé m'approcher ont pris leurs jambes à leur cou très. Je n'effraie pas que les âmes errantes ; j'effraie aussi l'amour.

Je pince les lèvres et me rattache à ce paysage. Depuis ce matin, j'ai vu beaucoup de couleurs mais celle qui est ici est encore plus merveilleuse. Je n'ai pas réussi à fermer l'œil, curieusement, je ne suis même pas fatiguée. Je me remémore sans cesse les nuances visibles sur les autres. J'ai vu beaucoup de halos orange et rouge. Parfois du vert et de temps à autre un bleu ciel. Du jaune aussi mais plus souvent chez les enfants. La ville devant moi m'offre un arc en ciel de couleurs.

Je m'adosse encore plus à ma moto en levant les yeux au ciel. Je sais que pour comprendre ce nouveau don, je vais devoir utiliser les autres. Il y en a certains que je ne peux pas éviter, comme d'entendre, voir et sentir mais le toucher, c'est tout ce qui me donne encore une petite maitrise de ma vie. Et je n'ai pas envie de m'en servir.

Parce que si je m'isole des Autres, c'est uniquement à cause de leurs sentiments qui sont tellement puissants et fort, qu'il me faut parfois plusieurs jours pour retrouver les miens.

Je ne sais pas comment je vais faire et je sais encore moins ce que je vais trouver avec ce nouveau fardeau. Je baisse le regard sur mon bras et observe ma propre couleur. D'abord un blanc pur, puis un turquoise ensuite plus foncé pour avoir une pointe de violet. Je n'ai vu ma couleur chez personne et ça me trouble davantage.

Je suis différente

Mais je ne veux pas l'être. J'ai envie d'avoir une vie normale. Ni plus ni moins. Je lève encore les yeux au ciel et espère des réponses quand mon téléphone sonne. Je l'extirpe de ma poche et grimace. J'ai oublié de la rappeler. Je culpabilise aussitôt et décroche.

- Je suis désolée, Judith... je ne t'ai pas rappelé plus tôt.

- Ce n'est pas grave. Je me suis inquiétée pour toi, mais si tu vas bien c'est l'essentiel. Que Dieu te garde.

Je me mords l'intérieur de la joue pour ne pas la décevoir dans un blasphème. J'ai perdu la foi depuis longtemps. Je n'ai jamais vu que le mal qui nous entoure sans que quiconque ne s'en rende compte.

- Mmm...

- Lucy... ne tourne pas le dos au Seigneur. Il peut t'aider et tu le sais.

LUCYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant