— Est-ce vrai ? demanda Heather.

Dans cette robe marron qui ne la flattait pas, les cheveux tirés en chignon sévère, elle était l'image même de la suspicion. Ses lèvres formaient une mince ligne désapprobatrice.

— Oui, dis-je, la mort dans l'âme ; je pars demain.

— Très bien. Je suppose que tu as des affaires à régler.

Une manière de dire Je ne te retiens pas. Rosalind me lança un regard où s'inscrivait un profond désespoir. Je sortis d'une démarche de somnambule. Je faillis tomber sous les roues d'un omnibus en traversant la rue pour prendre Tottenham Court tant les larmes brouillaient ma vue.


— Ce n'est pas moi que tu attendais, je vois, dit James d'une voix où perçaient des intonations moqueuses.

Il montrait le lilas disposé dans des vases pour le cas où Rosalind se raviserait. Les fleurs commençaient à se faner. J'avais imaginé la scène des milliers de fois : un claquement de bottines dans l'escalier, la porte qui s'ouvrait, la silhouette gracieuse en mauve ou en gris – couleur du demi-deuil – encadrée dans le chambranle. Rosalind entrait et se jetait dans mes bras. Nous n'avions qu'un pas à faire pour gagner la chambre. Mais tout ceci demeurait à l'état de rêve. Rosalind n'était pas venue, elle ne viendrait sans doute jamais. J'avais bouclé mon léger bagage – la plupart de mes affaires étant déjà parties pour Holly Farm –. Mrs Baxter n'allait pas tarder à m'apporter mon repas, le dernier avant mon départ. Celui-ci l'affectait malgré ma promesse de revenir bientôt.

— Des roses auraient été plus adaptées, enchaîna James, mais tu t'es épargné une dépense inutile.

J'avais été saisi en le voyant, aussi me fallut-il un peu de temps pour réagir :

— Comme votre démarche.

Il grimaça un sourire. Son pas lourd parut ébranler le plancher.

— Une mise au point s'imposait, dit-il, s'arrêtant à quelques pouces de moi.

Il éleva la canne qu'il balançait à son côté et la pointa dans ma direction. Cette manœuvre d'intimidation me laissa de glace ; j'étais persuadé que James n'oserait pas s'en servir. Il la brandissait tout en me fixant. Voyant que je ne bronchais pas et soutenais son regard sans ciller, il abaissa l'objet et lâcha, dédaigneux :

— Tu as de la chance ; je suis un gentleman. Pourtant, tu aurais grand besoin d'être corrigé pour t'apprendre à convoiter le bien d'autrui.

— Rosalind est une personne, pas une possession matérielle. Elle aussi a son mot à dire.

— Selon la loi, une femme appartient à son époux, et cela jusqu'à la mort, martela-t-il.

— Il existe d'autres lois, plus récentes, qui permettent à cette même femme de se séparer d'un mari avec lequel elle ne s'entend pas.

Mon discours et ma façon de lui tenir tête mirent le comble à la fureur de James. Le pommeau tournait dans sa main, nerveusement, comme si l'envie de m'en flanquer un bon coup le démangeait. Seuls les préceptes d'éducation enseignés le retenaient.

— Que sais-tu de notre vie conjugale ? grinça-t-il. Absolument rien. Rosalind n'a pas à se plaindre. Je la gâte et je lui suis fidèle, à l'inverse de beaucoup d'hommes. Mais elle s'ennuie et a la tête farcie d'illusions romanesques. Ton père a profité de cette faiblesse et maintenant, toi... Dieu merci, elle a recouvré ses esprits. Je l'emmène à Paris pour quelques semaines. Là-bas, elle retrouvera son équilibre et à notre retour, les choses rentreront dans l'ordre.

KENSINGTON ROADWhere stories live. Discover now