Chapitre 9

27 5 0
                                    

Chiara le regarda un instant s'éloigner puis se résolut à monter dans son propre véhicule, encore soufflée de cette scène, au bord de la suffocation. Incapable de prendre le volant dans cet état, elle fit d'abord quelques-uns des exercices que lui avait enseignés Marc pour combattre les angoisses, appliqua les points de pression préconisés. Ce n'était pas la panacée, mais bientôt elle fut en état de réfléchir et de rouler. Ses muscles étaient moins tétanisés, sa respiration moins erratique et la crispation de son ventre plus tolérable. Elle n'avait aucune envie de retourner à l'agence pour le moment et réfléchissait déjà à la façon dont elle allait formuler sa requête auprès du colonel. Comme elle l'avait dit souvent à Philippe, elle était une femme de principes et n'abandonnerait pas sa tâche, malgré son premier réflexe. Mais pas dans ces conditions. Elle conduisit très lentement, encore sous le choc de cette scène étrange.

Elle savait son équipier imprévisible, le soupçonnait capable de grands emportements, mais là, c'était trop. Chiara avait remarquablement admis les critiques, les moqueries, elle savait s'en défendre, mais ce soir, lorsqu'il avait sorti son arme, elle avait un instant craint pour sa vie. Et ce mélodrame absurde. Lui tirer une balle dans la tête pour un déjeuner, pour une pseudo humiliation ou une trahison qui n'existaient nulle part ailleurs que dans son cerveau tordu. Il n'était pas question de continuer à travailler avec un tel fou furieux ! Aussitôt rentrée, elle appela l'agence en demandant à parler au colonel.

-Chiara, comment allez-vous ? Je vous croyais encore dans nos murs ! Que puis-je faire pour vous ?

-Voilà, j'aurais aimé vous voir au sujet de l'équipe que je forme avec Philippe. Je pense que vous n'allez pas aimer, mais j'aimerais que vous nous sépariez. Attendez avant d'objecter quoique ce soit ! Ce n'est en aucun cas un caprice, ni une divergence d'esprit. C'est beaucoup plus grave. Je me crois en danger avec lui et je me demande même s'il est apte à remplir cette mission.

-Rien de moins ? C'est une accusation grave, que vous portez à l'encontre de l'un de mes tous meilleurs éléments. Qu'est-ce qui vous permet de dire cela ?

-Ecoutez, je ne veux pas en parler au téléphone et je n'ai pas envie de le croiser dans votre bureau. Pourrions-nous nous voir ailleurs ?

Il promit de la rejoindre immédiatement avant de raccrocher. Elle soupira, consciente que ce qu'elle avait dit et allait ajouter ne conviendrait pas à son supérieur, mais c'était un cas de force majeure. Le colonel arriva chez elle en un temps record. Elle lui proposa un verre qu'il accepta d'un signe de tête et lui désigna un siège dans lequel il s'assit prudemment. La première, ainsi qu'il semblait l'attendre, elle rompit le silence.

-Voilà, je ne sais trop comment vous expliquer ceci, donc je vais vous faire part directement des faits et des impressions que j'en ai retirées. Vous savez que, depuis le départ, votre choix ne m'a pas, comment dire, comblée. Philippe est arrogant, dur, perfectionniste et peut-être le savez vous, il a un vieux compte à régler avec ma famille. Je vois, vous le saviez, ... Vous avez tout de même cru bon de nous maintenir ensemble, et je dois remarquer que les choses se sont passablement arrangées, du moins jusqu'à ce soir.

Elle lui raconta en détail la journée, sans rien omettre, ni le déjeuner et ce qu'il avait pu laisser croire, à tort, ni l'accueil glacial, ni surtout cette crise de folie et les arguments qu'ils s'étaient jetés à la tête. Le colonel l'écouta en silence, sans l'interrompre une seule fois, totalement attentif à son discours, les coudes posés sur ses genoux et ses longues mains jointes devant son nez. Lorsqu'elle eut fini, il enleva lentement ses lunettes, les essuya soigneusement avant de les chausser à nouveau.

-Seriez-vous étonnée, Chiara, si je vous disais qu'au moment où vous m'avez appelé, Philippe sortait de mon bureau ? Les faits qu'il m'a rapportés sont rigoureusement identiques, même s'il en a, bien sûr, une interprétation différente dont il ne m'appartient pas de vous parler. Il a également, pour des motifs qui le concernent, fait la même suggestion, non pas contre vous, mais pour votre confort et je vais vous faire exactement la même réponse. Il est hors de question de dissoudre votre duo maintenant et ce pour plusieurs causes. Tout d'abord, vos caractères, très proches, se complètent admirablement et ce serait nous affaiblir tous que de renoncer à cette association. En outre, l'échéance est trop imminente pour modifier quoi que ce soit, sans compter que le secrétariat de Pablos est déjà prévenu de la présence de votre fiancé et bien sûr de son identité. Quant à l'incident de ce soir, Philippe m'a donné sa parole que cela ne se reproduirait plus et j'ai la plus entière confiance en lui. Je ne tolérerai aucune contestation et je vous attends demain, comme de coutume, à l'agence. Il m'a d'ailleurs assuré qu'il vous présenterait des excuses en personne. D'autant que dans ce que vous avez dit, certains éléments ont porté et qu'il s'en veut vraiment de vous avoir poussée à envisager de démissionner.

Fibules et toiWhere stories live. Discover now