Partie 7 : organisation

Depuis le début
                                    

1 et 2 lui disent poliment : « Bonjour Madame. », comme s'ils venaient à leur cours à l'heure habituelle, la réplique leur est venue spontanément quand ils l'ont reconnue. La réaction de Delawney, en revanche, est tout sauf habituelle. Elle abaisse son arme et se jette à leur cou en répétant : « Les enfants ! Les enfants, vous êtes là ! ».

Les Techs, très gênés, se figent. Ils ont envie de pleurer à présent. Ils serrent leur enseignante dans leurs bras, un geste qu'ils n'auraient jamais osé faire en temps normal, mais les temps ne sont plus normaux et ils ont enfin une alliée dans la place, même s'ils sont choqués de voir l'intransigeante Delawney se conduire de cette façon.

Rapidement, la femme s'écarte et reprend contenance. Elle n'a pas lâché son arme et avec la pointe du canon leur fait signe d'entrer. À l'intérieur, les autres humains sont eux aussi heureux de voir les Techs arriver, autant de soulagement de les voir sains et saufs que d'espoir qu'ils puissent faire quelque chose pour les sortir de ce guêpier. Ils sont une trentaine, surpris pendant leur temps de repos, et ne peuvent rien contrôler d'autre que les ordinateurs techs de leur propre immeuble. Les enfants Techs peuvent être un atout considérable dans leur contre-attaque. Les adultes se mettent immédiatement à discuter de la meilleure manière de les utiliser, quand 1 demande :

« Qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi on est attaqués ?

Les humains échangent des regards entendus et pas très réjouis. 2 propose d'une voix sourde :

— C'est à cause de nous, c'est ça ? Les Techs humains.

Nouvelle hésitation. Puis Delawney s'éclaircit la gorge et explique :

— Ils ont entendu parler d'une arme permettant de se faire obéir par tous les matériaux techs, surtout les ordinateurs. Ils trouvent que c'est trop dangereux. Je ne crois pas qu'ils sachent pour... vous spécialement.

— Quel mal est-ce qu'on peut faire avec les ordinateurs ? demande 1.

— Oh, trois fois rien, juste contrôler un pays ou détruire le monde, selon ce que vous...

— C'est absurde ! On est là pour servir et protéger ! On a été créés pour ça !

Un reste d'autorité ressort dans le discours de Delawney :

— C'est comme ça et on n'y peut rien. Maintenant au rapport ! »

Oui, c'est le plus urgent. Ils ont retrouvé les adultes et leur passent le relai. En dépit de la leçon donnée par les morts de la salle de surveillance. Eux aussi savaient ce qu'ils faisaient... jusqu'à ce qu'ils se fassent surprendre. L'autorité hiérarchique ne protège pas des erreurs, et même si 1 et 2 laissent volontiers les humains organiser leur défense, ils ont bien l'intention de surveiller ce qu'ils font.

Pour être la plus claire et rapide possible, 2 envie sur un écran les images de tout ce qu'ils ont traversé jusqu'ici, les portes qui se sont refermées en sécurité maximale, eux qui se sont concentrés jusqu'à les ouvrir, les petits qui sont allés en salle E22/54, le massacre, la situation telle qu'ils l'ont vue par les caméras de sécurité, la fuite de 3, ce qu'ils ont fait aux soldats qu'ils ont croisés, leur propre fuite vers le P6, leur diversion et leur entrée.

À la fin elle se sent épuisée. Pas à cause du transfert d'images. C'est d'avoir revécu et gardé pour elle toutes les émotions de ces moments-là qui est dur. 1 lui prend la main et lui envoie autant de consolation qu'il le peut, mais c'est difficile pour lui aussi et il n'en a pas beaucoup en réserve. Ils essayent surtout de laisser leur peur de côté. Maintenant, il faut établir un plan et agir.



3

3 est gardée par deux hommes qui se plaignent d'être mis à l'écart de l'action. On ne l'a pas attachée puisque rien n'était prévu pour ça. Elle est assise sur une caisse posée devant un camp de base, ses pieds ne touchent pas terre, et elle est dans la ligne de mire de deux armes à feu. Même si elle se débarrasse d'eux, l'endroit qui l'intéresse est bien gardé. Elle ne peut pas tuer pour se dégager un chemin — elle hésite mais jamais le Professeur Milley ne l'accepterait, jamais. Elle pourrait prendre quelqu'un en otage, mais qui ? La vie de ses deux gardiens ne vaut sans doute rien face à celle du Professeur.

L'idée que quelqu'un vienne la sauver et tout arranger ne l'effleure pas. Elle est la troisième, celle qu'on oublie toujours. Elle n'a jamais beaucoup cru aux héros.

Les soldats l'ignorent et se demandent :

« Tu crois qu'ils ont trouvé ces foutues armes ?

— Peut-être pas tout de suite, quand même. Elles doivent être bien planquées en dessous.

— Ouais, avec des sécurités et des machins...

— Ouais... Plus qu'ici en tout cas ! On est entré comme dans du beurre, ils ont rien vu venir !

— Ouais, les cons !

— Putain, j'aimerais bien y retourner...

— C'est normal, demande 3 sur un ton froid en regardant fixement un point dans leur dos, qu'un énorme canon sorte du sol ? »

Un truc vieux comme le monde. Stupide. Et pourtant, il marche : les deux soldats se retournent en même temps. 3 bascule rapidement en arrière et se tapit derrière la caisse. Ses gardiens restent médusés quelques secondes par sa disparition. Dans le noir, elle tâtonne à la recherche d'une arme. Même une pierre ferait l'affaire, pourvu qu'elle puisse gagner encore quelques précieuses secondes... Elle entend les pas des hommes qui, remis de leur stupeur, courent vers elle. Mais il y a de tout partout, ici, laissé en vrac par des soldats pressés, et elle trouve de quoi se défendre. De simples piquets métalliques qui servent à fixer les tentes. Quand les soldats l'attrapent par les épaules, elle en a déjà caché deux dans les manches de son pyjama. Furieux, ils la soulèvent du sol, laissant les canons de leurs armes pointer dans une autre direction.

3 a appris à se battre avec tout et dans toutes les situations. En théorie. En pratique, elle a toujours eu le chic pour avoir le geste qu'il ne faut pas au moment qu'il ne faut pas, alors qu'elle sait élaborer stratégies et techniques les plus ingénieuses. Mais ce que personne ne lui a dit, c'est que pendant un combat, quand on a la rage au ventre et que l'adrénaline brûle les veines, tout devient beaucoup plus simple...

Les piquets qui glissent dans ses mains paraissent aimantés par les avant-bras des deux hommes, et 3 a l'impression que ses mains à elle ne lui appartiennent plus, qu'elles savent ce qu'elles font pour la défendre. 3 laisse ses mains pivoter les piquets d'un quart de tour pour faire encore plus mal, puis les retirer. Le premier soldat lâche son arme, pas le second qui libère quand même la petite fille sous l'effet de la surprise.

3 sait qu'elle ne fera pas le poids au corps à corps contre celui qui la tient toujours, même blessé. Il l'a agrippée par l'épaule et enfonce les doigts dans la chair tendre de la fillette comme s'il voulait lui transmettre sa douleur. Elle fait le geste auquel il ne s'attend pas : elle se laisse tomber sur le sol de tout son poids. Surpris, il la lâche à son tour. Maintenant vite, avant que l'autre ne réagisse aussi, avant que le premier soldat ne décide de l'immobiliser d'un coup de pied, 3 roule sur elle-même et attrape le fusil abandonné qu'elle braque sur le soldat encore armé.

Ils restent immobiles, tous, le temps de comprendre ce qui arrive. 3 sent le poids de l'arme sur son bras, elle est encore couchée sur le dos et n'aura pas à se soucier du recul, elle peut le faire, elle a déjà utilisé une arme de ce genre, oui elle ne vise pas très bien mais elle est à moins de deux mètres de sa cible elle ne peut pas la rater...

Elle tire. Le fusil du deuxième soldat s'envole, accompagné d'un bon morceau de main. 3 braque son arme vers le premier soldat. Elle n'a rien besoin de dire : il met les mains sur sa tête d'un geste spontané tout en écarquillant les yeux. Il est moins terrorisé que stupéfait — c'est comme de voir un caniche dévorer un pit-bull.

3 tente de se rappeler tout ce que Delawney lui a appris. Elle ne doit pas laisser l'adrénaline parler pour elle et cogner pour le plaisir de cogner, si elle se rapproche trop ils pourront la réduire en miettes. Et elle ne doit pas non plus laisser parler la vengeance. Le Professeur Milley et le Professeur Stones disent que c'est mal de tuer. Elle ordonne aux deux soldats de se rapprocher l'un de l'autre et de reculer de deux pas. La distance paraît bonne. Elle se relève. Bien. Maintenant, qu'est-ce qu'elle en fait ?

Ce ne sont pas de très bons otages mais ils peuvent servir. De toute façon, elle ne peut pas les enfermer ni les tuer. D'un geste du menton, elle leur ordonne de se mettre en marche.



Les Techs - Tome 1 : les secrets du LaboratoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant