Partie 2 - Rêves d'un autre monde - Chapitre 4 (1)

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C'était son fardeau, sa punition.

Ses larmes taries, il entreprit de combattre la douleur de son corps courbatu et brisé afin de se rhabiller. Si tel avait été son désir, Bres aurait pu le soigner. Il aurait pu aussi lui laisser son masque pour l'empêcher d'affronter d'éventuels regards inquisiteurs en rejoignant ses propres appartements.

Un vertige saisit Julien alors qu'il avançait vers la porte. Il s'appuya d'une main sur le dossier d'un des sièges tout en combattant l'étourdissement qui faisait pulser le sang à ses tempes.

— Cela t'amuse de m'humilier encore plus, n'est-ce pas ? fit-il en serrant les dents.

Bres ne répondit pas à sa provocation. Depuis son réveil, le dieu était d'une étonnante discrétion, au point que Julien ne percevait pas sa présence dans son esprit. Cela ne signifiait pas pour autant qu'il ne l'observait pas.

Julien se mira distraitement dans le métal poli d'un plat et peina à reconnaître l'homme aux yeux cernés et joues creusées qui le fixait. Il essaya de se composer une expression impassible, espérant que son état passerait pour de la simple fatigue et ne trahirait pas son tumulte intérieur. Il n'était pas certain de faire illusion, mais il ne pouvait rester un instant de plus dans les appartements d'Ellie. Elle risquait de revenir à la charge, et lui de briser ses efforts en s'effondrant dans ses bras.

Julien traversa l'antichambre sans expérimenter d'autres vertiges et sortit dans le corridor obscur. Dans son dos, la porte disparut, ne laissant qu'un mur d'ébène veiné de carmin. Il progressa vers le transporteur le plus proche d'une démarche de plus en plus assurée, quelque peu rasséréné de n'avoir croisé personne.

Sa confiance s'ébranla quand il se heurta à un Fomoire à l'angle d'un couloir et, pire que tout, un Fomoire nullement inconnu.

Les yeux clairs et perçants de Killian le dévisagèrent. Pendant quelques secondes, Julien hésita entre la panique et la colère, entre la fuite et le désir aussi surprenant que choquant de passer sa frustration sur le ministre qui avait osé stopper sa progression. Puis il réalisa, en fixant son vis-à-vis impassible, que celui qu'il avait été durant des années n'aurait cédé ni à la peur ni à la haine.

— Prophète, le salua Killian en baissant légèrement la tête. Je vous cherchais.

Son ton, respectueux, ne trahissait aucune moquerie ou doute. Julien poussa intérieurement un soupir de soulagement, ce qui ne l'empêcha pas de chercher à s'en débarrasser.

— Plus tard, Killian.

Julien contourna le Fomoire, non parce qu'il n'avait « pas le temps » mais parce que ses yeux bleus presque gris, sa peau aussi laiteuse que parfaite et ses cheveux d'un blond clair de plus en plus longs au fil des semaines lui rappelaient Bres. Hélas, Julien n'eut pas besoin de se retourner pour savoir que le ministre le suivait.

La plupart des gens ne voyaient Killian que comme un arriviste aussi séduisant que condescendant. Ils auraient dû ajouter « persistant » à la liste des qualificatifs, et Julien le croyait même un peu trop intelligent, ce qui lui remuait les tripes d'angoisse en cet instant précis. Il serra les dents, peinant à combattre la violente pulsion qui lui commandait de crucifier le Fomoire à un mur avant qu'il n'en devinât trop.

— J'aimerais solliciter une audience auprès de notre dieu.

— Non, répondit abruptement l'homme.

Si Julien s'était retourné, il aurait peut-être surpris le sourire en coin de Killian.

— J'ai conscience que notre dieu est extrêmement occupé et que le servir ne vous laisse pas non plus un instant de répit...

Julien stoppa net. Une erreur. Il donnait l'impression d'avoir été heurté par le possible sous-entendu. Ce qui était le cas. Il s'inquiétait déjà de savoir ce que le Fomoire avait voulu signifier.

La peur grandit en lui, amenant avec elle la rage qu'il tentait d'ignorer. Il ferma à demi les yeux et se vit enserrer la nuque du ministre jusqu'à ce qu'un craquement satisfaisant se fasse entendre. Il se sentirait malade lorsqu'il retrouverait ses sens, mais au moins éviterait-il de...

— Veuillez pardonner ma trop grande franchise, ajouta Killian tandis que Julien se retournait pour le scruter. Cependant, il est évident, sans votre masque, que les affaires d'État ne vous ont pas laissé un seul instant de repos depuis des jours. Non pas que j'aie douté un seul instant de votre dévotion.

— Ce n'est pas en faisant preuve d'obséquiosité que vous aurez mon accord, Killian.

— Je sais, mais je me devais d'essayer, rétorqua le Fomoire.

— Abstenez-vous.

Julien se détourna, espérant mettre un terme à la discussion avant qu'un drame ne se produisît, quand Killian annonça, d'une voix presque tentatrice :

— J'ai des noms de traîtres potentiels.

Julien s'apprêta à lui répondre qu'il s'en moquait tant que l'on restait dans le « potentiel ». Bres choisit cet instant pour se manifester. Julien se sentit dépouillé de tout contrôle sur son propre corps, ce qui ne l'avait jamais gêné jusqu'alors mais le terrifiait désormais. Sans la dominance de Bres, il aurait tremblé violemment rien qu'à la sensation glaçante de son esprit maléfique.

— Ce soir, à dix-neuf heures précises.

Killian s'inclina respectueusement, et Bres s'évanouit aussi vite qu'il s'était manifesté. Julien se détourna rapidement, avant tout pour cacher son expression, les larmes qui menaçaient de couler le long de ses joues. Il se mordit la lèvre inférieure jusqu'à sentir un goût cuivré sur sa langue, espérant que la douleur lui permettrait d'oublier le froid qui s'était répandu dans ses membres.

— C'est un honneur rare. Ne soyez pas en retard.

En vérité, il espérait que Killian le serait. L'affront distrairait peut-être assez Bres pour qu'il oubliât un instant son souffre-douleur favori.

— Je ne le serai pas, répondit Killian, sans chercher à le suivre cette fois.

Lorsque Julien eût disparu, Killian relâcha la tension qui avait contracté ses muscles. Il s'adossa contre le mur tout en poussant un soupir de soulagement.

Liwane, qui n'avait perdu une miette de la scène, le tança pour son imprudence. Il n'aurait jamais dû se promener dans cette partie du palais et, si le Prophète semblait trop préoccupé pour se montrer curieux, l'invitation de Bres, elle, n'était sûrement pas innocente. S'il ne l'avait pas encore fait, le dieu ne tarderait pas à deviner que Killian fouinait au lieu de chercher désespérément Julien pour une soi-disant audience.

— Tais-toi, grogna Killian à voix haute.

Me taire ? Tu n'as aucun nom à donner à Bres !

— Oh, il y a bien quelques personnes dont je souhaite me débarrasser.

De plus, ce sera l'occasion parfaite de gagner son estime, précisa-t-il.

Ou de te faire démasquer...

En parlant de démasquer, n'as-tu rien remarqué concernant notre Prophète préféré ?

J'étais trop occupée à faire mes valises pour fuir, vois-tu ?

Killian ne répliqua pas à la remarque sarcastique de la Transfigurée. Si Liwane avait été trop distraite pour se soucier de l'attitude de Julien, ce n'était pas son cas. Il n'avait pas manqué de remarquer sa main blessée, ainsi que ses tentatives dérisoires pour cacher son mal-être. Killian avait perçu sa terreur lorsque Bres s'était manifesté. Il n'était pas certain de vouloir apprendre ce que le dieu maléfique lui avait fait subir pour le briser ainsi. Quant à savoir s'il pourrait exploiter sa faiblesse nouvelle à son avantage, il était encore trop tôt pour le dire.

La princesse aux mille illusions (abandonné)Where stories live. Discover now