Chapitre 10- La nuit porte conseil paraît-il...

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Je jette un dernier regard à la maison qui m'a vue grandir, qui nous a vues évoluer, ma mère et moi, nous aimer puis nous détester. Ce même endroit qui a assisté à la mort de ma mère. Puis, je la quitte définitivement sans me retourner, parce que je sais pertinemment, au fond de moi, que si je me retourne, je courrais m'enterrer à mon tour pour la rejoindre.

L'air est frais. Ce n'est pas normal. À Tre l'air est toujours sec et chaud. Ou alors cela vient de moi. Tout me semble aussi glacial que la peau de ma mère. J'étouffe un sanglot.

Je marche en direction de la ville, déterminée. Rien, ni personne ne pourra entraver ma route. Quand j'étais petite, la simple idée de traverser la forêt seule me rendait malade. Mais à présent, je me sens tellement vide que j'en deviens invincible. Aucun craquement, aucun hululement ne peut me faire sursauter. Je n'entends rien sinon la voix de Sha qui résonne comme un tambour dans ma tête.

Cette voix grave aux intonations chaudes. Ma mâchoire se serre instinctivement. Cette mutante a tué ma mère. Pourquoi ?

Je le découvrirai. Quoi qu'il m'en coûte. Je ferai parler ce monstre sous la torture. Ensuite... Je la tuerai. Sans remords aucun. En a-t-elle eu pour la femme qui m'a mise au monde ? Certainement pas.

Sans vraiment me rendre compte du chemin parcouru, j'arrive devant l'éminente tour principale de Tre. Les lumières sont allumées à l'intérieur.

Ils ne dorment jamais ces Hommes de science ?

Je ne me sens pas épuisée. Je suis alimentée par une espèce d'adrénaline et de rage intérieure. Quand je passe la porte encadrée par les deux immenses statues, deux hommes, qui étaient en grande conversation, s'arrêtent subitement en me voyant entrer.

– Dahlia ? s'étonne l'un des deux.

Je reconnais seulement le professeur Acturus Green.

– J'accepte de faire partie de votre projet à la con. Je m'installe où ? affirmé-je sans détour.

Green lance un regarde éloquent à son interlocuteur puis soupire lourdement. Il a l'air désolé. Est-ce qu'il sait ?

– Suis-moi.

Il m'indique un ascenseur dans lequel nous nous engageons. Le professeur ne me pose aucune question. Il ne semble pas surpris de me voir revenir de mon escapade nocturne.

J'observe en biais son profil. Il est toujours aussi distingué et posé. Il ne trahit aucun geste d'agacement ou d'exaspération à mon égard. Nous ne sommes pas encore le matin et pourtant, Acturus Green est tiré à quatre épingles. Son maintien se veut droit et ses cheveux coiffés à la perfection. Ses yeux verts restent figés devant lui. Il ne semble pas enclin à me lancer un regard. A-t-il attendu mon retour toute la nuit ?

Que va-t-il faire à présent que je suis revenue comme une fleur ? Me renfermer dans ma cellule ? Je ne pense pas. Il a vraiment insisté pour que j'intègre son programme expérimental qui consiste à débusquer tous les mutants de notre monde.

J'espère qu'ils n'ont pas changé d'avis lors de mon évasion.

La grosse boîte de métal engage une descente rapide avant de s'arrêter à l'étage moins 14. Je regarde deux fois l'écran qui indique ce chiffre. Je ne m'étais pas doutée que la tour s'étendait également sous nos pieds.

Je ne fais pas vraiment attention au chemin que nous empruntons. Je me sens soudainement terriblement lasse. J'avance, les yeux dans le vague et finis par me cogner violemment contre le professeur en balbutiant des excuses lorsqu'il s'arrête. Il ne relève pas.

– Voici ta chambre. J'espère que ça ne te dérange pas de la partager avec quelqu'un ?

Je fais non de la tête, puis le remercie. Je préfère de loin partager ma chambre avec quelqu'un, en temps que personne semi-libre, plutôt que de continuer à croupir dans une de ces cellules sans âme. Avant d'entrer, j'entends Green murmurer quelque chose de manière presque imperceptible :

– Je t'avais prévenue...

Je ne suis pas certaine que ce soit ce qu'il m'ait dit, mais je n'ai pas envie de m'en soucier. Ma mère est morte ce soir. Je suis une orpheline, mutante, qui s'apprête à suivre un entrainement pour le gouvernement dans le but de devenir une arme dangereuse.

Ne nous cachons pas les choses. Et je n'ai qu'une envie pour le moment, celle de m'écrouler sur n'importe quel lit pour arrêter de penser. La porte de la chambre se dématérialise lorsque j'amorce un mouvement vers elle.

La pièce est plongée dans la pénombre. Je remarque qu'il y a deux lits. Celui du fond est occupé par quelqu'un, mais je ne vois pas assez bien pour distinguer si c'est une fille ou un garçon.

La pièce est de taille moyenne, deux lits sont entreposés à une distance d'environ deux mètres l'un de l'autre. Chaque lit possède sa petite table de nuit adjacente. Un bureau en bois occupe le fond de la pièce. Quelques objets que je ne saurais identifier y sont posés. Leurs ombres tapissent le mur de derrière sous l'effet de la lumière du couloir.

Je me laisse choir sur le lit sans prendre le soin de me déshabiller. Je n'ai plus la force, ni le courage, ni même l'envie de rien.

Je repense à ce qu'était mon monde il y a quelques jours à peine avant que tout ne bascule. Je revois le visage d'Hydor que je n'aurai probablement jamais l'occasion de revoir. Il s'inquiétera sûrement pendant quelques temps, puis un jour, il m'oubliera et personne ne parlera plus jamais de Dahlia et d'Eris, sa mère. Disparues, oubliées...

Le visage livide de ma génitrice s'imprime dans ma rétine pour ne plus la quitter. L'émotion me submerge et je m'endors, le corps secoué de sanglots silencieux

Ultra (sous contrat d'édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant