Partie 3 : Evasion

Depuis le début
                                    

Tout le système de sécurité du laboratoire a justement été prévu pour que les enfants Techs ne puissent pas y accéder. Les humains ont sous-estimé leurs progrès, et les Techs en ont profité pour obtenir de petites choses, améliorer leur quotidien discrètement, sur des détails. Mais ils n'ont jamais tenté de pirater tout le système et de s'enfuir. Ils n'en ont jamais vu de raison. Jusqu'à aujourd'hui.

1, 2 et 5 créent une flèche, dont la pointe contient les instructions qu'ils ont à transmettre à l'autre Réseau, et l'étirent le plus possible. Leur ordre traverse lentement la matière, couche après couche, toujours relié à eux par un mince fil de volonté qui suffit à le diriger. Ils avancent en aveugle, ne pouvant se fier qu'à leur sens de l'orientation.

Ils sont au bout de leur énergie, pas moyen d'aller plus loin, et ils ne sont pas arrivés. Ils appellent 3 à leur aide. La jeune fille n'a jamais autant regretté d'avoir une portée si faible, elle leur offre toute l'énergie dont elle peut se passer mais ils n'avancent pas beaucoup plus. L'angoisse qui la ronge commence même à les freiner.

1 dit : On ne peut pas, il faut retourner dans nos corps et tenter autre chose.

2 dit : Pas question, on demande aux autres et on continue.

1 dit : Ils sont trop jeunes, on ne sait pas ce qu'il va se passer, mieux vaut attendre que les humains viennent régler tout ça.

2 dit : S'ils le peuvent.

Cette pensée suffit à inquiéter 5 qui, sans demander la permission, entre dans l'esprit de 2. Elle y découvre tout. 3 reste à la frontière de l'esprit de 2, indécise, brûlant de savoir et terrifiée à l'idée que ce soit quelque chose de terrible.

C'est quelque chose de terrible. Contrairement aux deux plus grands, 5 pense immédiatement à une guerre. Il y a des ennemis dans la place et il faut se battre. Se libérer d'abord, puis se battre. Défendre les professeurs, qu'ils considèrent comme leurs parents, et défendre leur maison. 5 a toujours rêvé de faire une fugue, de découvrir le monde extérieur, mais ici c'est leur maison. Personne n'a le droit d'y toucher. Elle rejoint l'avis de 2 : il faut qu'ils s'y mettent tous pour se délivrer, peu importe si les plus petits sont effrayés.

4, 6 et 7 ajoutent leur énergie à celle déjà en place. Leurs corps couvrent le plus de fil de Réseau possible pour en transmettre encore davantage, ils sont tordus dans des positions intenables et les larmes sèchent sur leurs joues. Aucun Tech ne prête attention à ces corps. L'essentiel c'est d'avancer. Chaque esprit offre une réserve d'énergie, maintenant il faut lui donner une forme par la pensée, la sculpter pour qu'elle soit la plus longue et la plus fine possible et qu'elle rallonge encore la flèche tendue, tenue à bout de bras par 5 qui s'étire jusqu'à l'extrême limite de ses forces mentales. Ils s'approchent. Ils y sont presque. Et la peur qui fait battre leurs cœurs les pousse à donner toujours plus en refusant de penser à ce qui se passe au-dehors. Encore une feuille de plastique — ils doivent rester unis, leurs esprits tressés en un seul fil, surtout ne pas s'éparpiller — ils avancent encore, du béton, ils le traversent, ils peuvent presque sentir chacun de ses grains, ils pourraient suivre les longues tiges de métal qui le transperce pour avancer un peu plus vite — mais si peu — mais ils ont peur de dévier. Le but, rester concentré sur le but. Ils ont laissé leurs esprits en arrière, dans l'anhylo, leurs souvenirs et leurs émotions, les raisons de cette plongée dans la matière, il ne reste plus dans les minces fils qui s'étirent toujours plus que leur peur, leur volonté et tout au bout un minuscule programme qui ordonne aux portes de s'ouvrir. Toucher l'autre Réseau sans briser le fil, c'est tout. Encore du plastique.

Quand le goût doré de l'anhylo les envahit à nouveau ils osent à peine y croire. 1 réagit le premier : il dépose le programme et commence à reculer. Les plus jeunes rechignent maintenant qu'ils sont de retour dans leur environnement, mais ce n'est pas le Réseau sur lequel leurs corps sont connectés et il n'y a toujours qu'un mince fil qui les relie au Réseau du système de sécurité, une situation intenable. Ils font tous demi-tour, unis pour ne pas perdre les plus jeunes, ils se replient de plus en plus vite, de plus en plus soulagés d'être entiers, de redevenir eux-mêmes. Ils retournent dans leur Réseau puis dans leurs corps, prêts à s'enfuir pour la première fois de leurs vies.

Dans le Réseau de sécurité, l'instruction déposée est simple : « ouvrir toutes les portes ». Sans se soucier du fait que les ordres sont là alors que personne ne les a entrés, les ordinateurs techs font les liens qui s'imposent et codent un programme qui ordonne aux ordinateurs binaires de déclencher les mécanismes adéquats. Il faut bien une minute pour que l'ouverture soit effective dans tout le laboratoire.

3 demande à 1 Et après, qu'est-ce qu'on fait ?

1 lui répond Toi tu vas mettre les petits en sécurité, 2 et moi on va voir ce qui se passe.

Pas question intervient 2. On reste groupé. On est peut-être en danger.

1 ne répond rien. Il pense que si vraiment il y a du danger, un danger assez grand pour empêcher les professeurs Milley et Stones de les protéger — eux, les enfants Techs, l'œuvre de toute leur vie — alors ils vont devoir se défendre sans savoir de qui ni de quoi, sans savoir comment faire, sans savoir pourquoi ils en sont là ni jusqu'où il faudrait qu'ils aillent. L'aîné des Techs cache soigneusement ses pensées à ses frères et sœurs. Il se doute bien que 2 doit se dire à peu près la même chose au même moment. Il préfère ne pas en parler maintenant.

Chacun dans sa chambre et 3 dans le couloir, ils se lèvent et se rapprochent des portes. Ils ont tous une meilleure audition que les humains ordinaires. Ils arrivent à entendre le minuscule cliquetis d'ordres binaire qui arrive aux systèmes de sécurité des portes. Le premier système est purement mécanique puisqu'il nécessite une clé, personne ne l'a utilisé et il est déjà ouvert. Le deuxième est la fermeture ordinaire, enlever les crans des portes qui se plantaient dans les murs n'est pas long. Le troisième, le verrouillage de sécurité maximale, double toutes les portes d'une cloison de métal impossible à transpercer sans explosif. Le cliquetis s'intensifie. Enfin ils entendent le doux coulissement des barres se séparant les unes des autres. Les portes s'ouvrent.



Les Techs - Tome 1 : les secrets du LaboratoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant