L'amour impossible

Depuis le début
                                    

Elle ne se souvenait pas de ce qui s'était produit après avoir découvert que le vieux porc de voisin l'avait surprise alors qu'elle revenait de la cabane avec la hache. Elle se souvenait qu'une espèce de déclic s'était fait entendre entre ses oreilles, comme un tilt dans un billard électrique. Par la suite, tout s'était enveloppé de brume épaisse. Elle avait entendu des voix, parfois la sienne, comme à travers un long tunnel en ciment. Lorsqu'elle avait ressenti cette douleur dans son dos, ce long corridor noir fut illuminé par une lumière crue et tout ce qu'elle se souvenait de ce moment, s'était la voix de Jean-François qui demandait à Serge de venir la rejoindre.

Le feu qui consumait son dos, brûlant tout jusqu'à ses os, l'invitait à entrer dans cette lumière qui faisait comme auréole autour du visage du curé. Elle se souvenait avoir souri. Elle était bien, malgré cette douleur atroce. Elle avait l'impression d'être couchée sur un roc lisse sur lequel une eau brûlante courait incessamment, prête à l'emporter doucement vers la liberté.

Mais la voix de Serge l'avait ramenée dans la douleur crue. Elle aurait aimé se jeter dans ses bras, poser sa bouche sur la sienne et y faire pénétrer sa langue pour le goûter, l'avaler. Mais elle avait fermé de nouveau les yeux, s'imaginant que c'était bien là le seul geste qu'elle posait sur lui dans ses rêves les plus fous. La réalité céda la place à ce fantasme pour ensuite s'étioler vers l'oubli.

Jusqu'à son réveil à l'hôpital.

Elle perçut que quelqu'un s'approchait. Elle se demandait si c'était enfin Serge. Il lui avait bien dit qu'il fallait qu'ils parlent. « Pas aujourd'hui, mais demain... » avait-il dit. Peut-être avait-elle rêvé ça. Elle souleva une paupière en essayant de ne pas crisper son visage.

- Bonjour Chantal, fit la voix. Je vois que vous êtes réveillée.

Elle ferma les yeux, bien décidée à feindre le sommeil encore un peu.

« Mon nom est Sébastien Lamarche. Je travaille au DSS de l'hôpital. Je suis venu juste pour vous informer que si vous désirez parler avec quelqu'un de neutre qui pourrait un peu vous aider, je suis à votre disposition. »

Il fit une pause, voyant qu'elle ne daignait pas ouvrir les yeux.

« Vous êtes libre de vous taire et même de faire semblant de dormir. Personne ne vous forcera à rien. Mais sachez que vous allez demeurer en observation au cours des soixante-douze prochaines heures et qu'on fera votre évaluation psychologique. Sachez aussi qu'on m'a informé que vous allez être formellement accusée de double tentative de meurtre, coups et blessures et que d'autres chefs d'accusation. La famille n'a pas encore manifesté le désir de porter plainte contre vous, mais cela aussi ne devrait pas tarder. Je ne suis pas un expert en matière de justice ni non plus en psycho comme tel, mais vous avez autant le droit de garder le silence que de vous exprimer. Je ne suis pas un policier, ni un psychologue ou un juge. Je suis simplement là pour vous guider un peu. Vous m'entendez ? »

Il attendit un peu et tapota le bord du lit avec sa bague avant de tourner les talons. Elle l'entendit s'éloigner et attendit un moment avant d'ouvrir les yeux.

Il était toujours à ses côtés, souriant.

Elle ferma les yeux, comme une enfant qui refuse sa purée de brocoli et chou-fleur. Elle serra les dents et se mit à se lamenter.

« Calmez-vous, Chantal. Je ne suis pas ici pour vous faire du mal, au contraire. Désirez-vous quelque chose ? Un verre d'eau ? Êtes-vous souffrante ? Vous pouvez me parler. »

Elle secoua la tête et la tourna vers le mur de l'autre côté sans dire un mot.

« Alors, je vais partir. Si vous avez besoin de me parler, je ne serai pas très loin. Demandez Sébastien... »

Le silence des blés d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant