Le cas Chantal

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Avéline était estomaquée. Comment est-ce que les responsables de cet hôpital pouvaient laisser sortir une personne dans son état ? Et pourquoi personne n'avait remarqué cette femme qui quittait les lieux en jaquette bleu poudre ? Mille questions traversaient son esprit alors que Violette découvrait la pâleur sur son visage.

- Et personne ne l'a retrouvée encore ? C'est du délire, ça !

- Je vous comprends, Avéline. Mais, je vous suggère de faire preuve de beaucoup de prudence. Je ne dis pas qu'elle est dangereuse, mais d'après moi, cette femme est sous le choc. Et quand quelqu'un pète un plomb comme ça, c'est une porte grande ouverte pour les folies inimaginables. Déjà que je ne faisais pas trop confiance à cette femme dès qu'elle arrivée chez vous...

- Je vais garder un œil sur les environs et m'assurer que toutes les portes seront bien verrouillées ce soir. Je vous remercie de nous avoir avertis, monsieur Lefrançois.

Il promit de rappeler dans la soirée, qu'il y ait des développements ou non.

Avéline n'en revenait simplement pas. Cette femme était vraiment cinglée et, malgré la prudence du policier, elle la savait capable de commettre le pire pour mettre en œuvre cet amour insensé avec Serge. Elle se demandait si elle devait le lui dire ne sachant pas comment il allait réagir. Elle raconta les nouvelles à Violette.

- Et bien, dis donc, on ne s'ennuie pas par ici. Tu ferais mieux de t'asseoir. Tu es pâle comme un fantôme.

Jean-François revint avec les pinces du grill entre les doigts : « Est-ce que vous avez les steaks, mademoiselle sibylline des avés loue-là ? »

Avéline afficha un sourire malgré les tourments qui la clouaient sur le banc. Il y avait longtemps qu'elle l'avait entendue celle-là. Elle et Serge s'amusaient, à une certaine époque, à trouver des jeux de mots avec tous les mots ou expressions de la Bible pour agacer le pauvre Jean-François alors débordé par ses études, surtout lors de la période des examens. Ce dernier les avait pourtant remerciés de lui avoir apporté un peu d'humour dans les moments les plus difficiles de ses cours plus difficiles, disait-il, qu'un doctorat en médecine.

En voyant le visage allongé de son amie, il redevint sérieux.

- Avéline, qu'est-ce qui se passe ? Tu n'as pas l'air d'aller bien ? Il est arrivé quelque chose à Cédric ? À Bérengère ?

Elle lui expliqua ce que lui avait raconté le policier, en commençant par le suspect de l'incendie. Lorsqu'il apprit que Chantal Pronovost s'était évaporée, il fut plutôt songeur :

- Je ne pense pas qu'elle va revenir ici. Après tout, si elle a été hospitalisée, ce n'est pas pour une entorse au pied, mais bien parce qu'elle s'est tailladé les poignets. Et ce n'est pas seulement parce qu'elle a perdu son emploi ici, mais aussi parce qu'elle s'est retrouvée en mauvaise posture devant Serge. D'après moi, elle est désespérée et va tenter de mettre fin à ses jours. J'en viens presque à souhaiter que je me trompe et qu'elle va revenir ici pour parler avec Serge.

- Tu as probablement raison, Jean-François, fit Violette. Mais la question reste : est-ce qu'on en parle à Serge ?

Le prêtre ramassa le plateau de viande et se dirigea vers la porte-fenêtre : « Je vais lui parler. Il faut qu'il le sache d'une façon ou de l'autre. On n'a pas besoin de parler de menace ou de suicide. Il va certainement poser des questions, mais je vais tenter de colmater les fissures, si elles apparaissent. Pour ce qui est de l'incendie, ça peut attendre jusqu'à ce qu'il y ait des preuves solides et qu'on ait appréhendé le suspect. »

Serge a toujours aimé le bruit de la viande qui grille sur le feu. Tout jeune, son père cuisait les bons « T-bones » sur le charbon de bois. Son père a longtemps retardé l'achat d'un BBQ au gaz propane, même si ces appareils étaient prêts dans les secondes qui suivaient l'allumage. Il préférait l'attente patiente, comme un bon cultivateur attend de voir poindre les premières pousses à travers les rides de la terre puis leur ascension vers le ciel. Il disait que le monde allait trop vite maintenant, avec ces appareils qui faisaient tout en un clic.

Le silence des blés d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant