Intrus de soirée

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Patterson n'insista pas. Il savait que cette réponse ne disait rien de précis. À voir le regard des trois autres, il sentait bien qu'ils n'étaient pas certains que Serge puisse demeurer seul dans cette grande maison et que la présence de Violette Savoie n'était que temporaire. Mais, il préféra ne pas poursuivre sur cette piste sachant que la décision se prendrait entre eux, avec ou sans l'accord de Serge.

- C'est normal, Serge. C'est tout à fait normal. Tu es né ici et tu as grandi entre ses murs. Moi non plus, je n'abandonnerais pas ma maison si facilement. Je voulais parler des terres, évidemment.

Avéline jeta un coup d'œil à son frère qui s'était retranché dans sa tête pour mieux se protéger de ce qui risquait de sortir de cette discussion. Elle avait brièvement parlé à Violette et Jean-François de cette clause du testament qui n'avait surpris personne. Et pourtant, chacun appréhendait la réaction du voisin qui, à coup sûr, le prendrait vraiment mal. Pour elle, c'était un autre coup de dé préparé par les bons soins de son père pour semer encore un peu plus de pagaille dans leur vie.

- Vous connaissiez mon père, monsieur Patterson, commença à dire Avéline, l'air de vouloir à cent lieues de là. Mieux que quiconque dans la région. Vous avez eu plus d'une fois maille à partir avec lui concernant les terres, surtout lorsqu'il a commencé à prendre du recul sur les affaires de la ferme.

- Je ne sais pas si je vais vraiment apprécier ce que je vais entendre. Il a mis des clauses dans son maudit testament, je suppose.

Avéline baissa les yeux, ne pouvant pas vraiment continuer. Elle espérait que Jean-François prenne le contrôle de la conversation. Si cette nouvelle venait de lui, elle serait peut-être moins associée à elle ou encore à Serge. Elle avait honte de se replier comme ça, elle qui en avait vu d'autres avec son père. Mais, la colère de Bernie Patterson risquait de briser la quiétude de ce souper entre amis. Et franchement, elle ne s'était pas attendue à en discuter avec lui avant quelques jours, le temps de se préparer des réponses, s'il y en avait dans les circonstances.

Patterson fit signe à Jean-François de lui servir un autre verre de porto en tapant sur le verre.

« Le vieux bâtard m'aurait eu à l'usure, par tous les démons de l'enfer, murmura-t-il. Pardonnez-moi, monsieur le curé, mais ce crisse de vieux borné est passé plus d'une fois à côté d'une bonne affaire. S'il m'avait juste écouté un petit peu, il serait peut-être encore vivant à profiter de son argent dans le confort de sa belle maison. Mais non, il a fallu qu'il s'obstine à s'éreinter dans les champs, à tout vouloir faire par lui-même. Avec trois enfants à élever. Ce n'est pas de la petite bière, ça. Maudite tête de cochon ! »

Avéline posa les mains sur ses tempes. Un léger mal de tête commençait à se faire sentir. La journée avait été longue, beaucoup trop longue à son goût. Et, ce vieil entêté venait rallumer la flamme en frappant sur un fantôme qui, de son vivant, n'avait de cesse à se refuser à céder à ces avances du voisin.

- Écoutez, monsieur Patterson, dit enfin Jean-François en posant une main sur l'avant-bras d'Avéline. Vous savez très bien que Serge et Avéline n'ont rien à voir avec la décision de leur père. Le vieux Georges, Dieu ait son âme, n'a jamais voulu vendre ses terres de son vivant et à qui que ce soit. Vous le savez ça. Il était têtu, mais il voulait respecter la tradition familiale en mémoire à ses parents et ses grands-parents qui tiré de cette terre le fruit de leur labeur. Ils aimaient leur terre comme si elle avait été donnée par Dieu, ce qui n'est pas tout à fait faux. Il savait aussi qu'en mourant, l'héritage de sa famille serait dilapidé. Ni Serge, ni Cédric et encore moins Avéline ne voulaient prendre cette relève sur leurs épaules. Les temps ont changé. Personne n'aurait pu vous garantir que l'un de vos fils ou l'une de vos filles, si vous aviez eu la chance d'en avoir, aurait accepté de suivre vos traces. Que serait-il advenu de vos terres ? Vous êtes chanceux, car malgré ce malheur qui a frappé votre couple puisque votre neveu a fait promesse de s'en occuper. Mais qu'en serait-il si vous n'aviez aucune famille qui voudrait les prendre en charge ? À qui céderiez-vous votre patrimoine ? À votre voisin Georges Éthier ?

Le silence des blés d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant