Il y a toujours des monstres dans les piscines

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Un grondement se fait entendre sous elle. Le sol s'ouvre. Elle n'arrive pas à se relever à temps. La piscine se libère, se dévoile, s'affaisse. Les fesses soudain dans l'eau, Wendie tient le papier en hauteur pour lui épargner des ravages. Elle s'est creusée de plusieurs centimètres. Son pantalon et ses pieds baignent dans cette pataugeoire étrange.

Emportée par la curiosité et l'impression de toucher au but, Wendie n'y tient plus et agrandit l'entaille dans le papier. Cette fois, elle s'enfonce jusqu'aux coudes. Sentir l'eau tant désirée de la piscine sur sa peau la remplit d'une allégresse qui frise l'absurdité. Elle se penche en arrière pour mouiller ses cheveux tout en continuant de déchirer le papier. Sa tête se retrouve sous l'eau, ses oreilles immergées dans cet autre monde à la respiration sourde. Ses jambes ont presque assez d'espace pour s'étirer et battre.

C'est alors qu'elle regarde le fond. La piscine n'est pas creusée au maximum, mais tout se met en place. Le papier est avec elle sous l'eau, bien sûr. Sous elle, la mosaïque s'écarte. La piscine se creuse de plus en plus loin. Le peu de bruit produit par tous ces changements l'étonne. D'ici, Wendie a simplement l'impression que le fond s'éloigne d'elle. Il s'obscurcit en conséquence.

Rattrapée par les souvenirs de son cauchemar, Wendie bat des pieds pour remonter à la surface avec le papier. Il faut qu'elle le sorte de là. Elle comprend maintenant ce qui se passe.

Le papier contient la piscine, dans tous les sens du terme. Il l'incarne et la retient. Et aussi surprenant que cela paraisse : il contient sa fâcheuse tendance à déborder et inonder les alentours.

Si le papier reste dans la piscine... Ce sera catastrophique. Un miroir en face d'un autre, démultiplié à l'infini. Si elle est si grande, si profonde... Elle va inonder la maison. Complètement.

Alertée par des bruits étranges sous la surface, elle nage précipitamment vers le rebord pour s'éloigner de la fosse aquatique qui gronde, qui gronde de plus en plus fort, qui remonte...

Quand quelque chose lui attrape la jambe et la tire d'un coup vers le bas. Immergée dans cette obscurité liquide, elle voit la couleur boisée du plafond de la salle s'éloigner et donne un coup au hasard sur la chose qui la happe. Quand elle la lâche, Wendie nage à en rendre ses jambes douloureuses. Elle respire à plein poumons en atteignant la surface. La pièce ne lui a jamais parue aussi menaçante qu'à cet instant. Inhospitalière.

Il y a des choses dans cette piscine. Pétrifiée par la peur qu'a engendré cette présence inattendue, intruse, Wendie se fige. Elle se concentre sans oser bouger pour repérer un quelconque changement ou sensation suspecte sous la surface. L'eau est si noire à présent. Elle n'y voit rien. Le bord parait si lointain. Et dans sa main, la piscine en papier est gorgée d'eau. Elle commence à se désagréger dangereusement.

Cette chose a voulu lui attraper la jambe. Ça ne ressemblait pas à un bras humain, loin de là. Ça ressemblait à une bouche. Grande, gigantesque même. La gueule d'un monstre. Ce qu'elle a senti, c'était des dents.

Wendie rassemble son courage pour s'élancer vers le rebord. Une ombre passe devant elle. Lui tourne autour. Une ombre qui fait deux fois sa taille, rapide et silencieuse. Wendie part en sens inverse, quoique ça n'ait aucun sens.

Elle remarque bien trop tard que la piscine en papier lui a échappé des mains et qu'elle coule dans l'eau noire abritant ces incroyables monstres, ombres palpables et matérielles. Wendie renonce à la rattraper, c'est trop tard. La chose n'est pas seule. Plusieurs autres se disputent l'espace tant convoité de la piscine. Puis elles repartent vers le fond, s'engouffrent dans l'obscurité trouble. Quelque chose est en train de se passer.

Cette fois, Wendie se dépêche de sortir, trempée de la tête aux pieds.

L'eau inonde la salle. Il y a trop d'eau dans cette piscine. C'est un océan. Les tapis du couloir s'imbibent, comme toutes les pièces alentours. Voir ces vagues envahir doucement la maison, presque sans un bruit, est un spectacle des plus étranges. Wendie se lève et suit l'eau qui se faufile dans tous les sens. Les portes frémissent. Certaines s'ouvrent sous l'intrusion. Les salles de bain, surtout. L'eau se répand dans les douches de céramique blanche et disparaît dans les canalisations.

Elle se rappelle l'humidité troublante qui régnait dans toutes les salles de bain du rez-de-chaussée, le jour de son arrivée. Durant son exploration, elle avait vu la buée sur les miroirs, les flaques dispersées dans les interstices.

C'était forcément la piscine. En rangeant son existence ailleurs, elle devait déborder dans les autres pièces.

Une chance que la maison soit si grande. Mais elle ne tiendra pas longtemps, car la piscine en papier a été avalée. La digue est rompue.

Tout le monde dort à cette heure dans la maison. Ils vont mourir dans leur sommeil. La piscine va les noyer. 

Paper Pool / La Piscine en PapierWhere stories live. Discover now