Baignade de minuit

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Les jours suivants, Wendie rêve toutes les nuits de la piscine. À chaque fois c'est la même chose, à quelques variations près : elle saute depuis le plongeoir blanc qui vient d'apparaître et réalise en nageant qu'il n'y a plus de fond en-dessous d'elle. La piscine se fait abysse.

Un mardi ensoleillé, son père entreprend de desceller les panneaux de bois qui bloquent la lumière de la salle où dort l'incroyable trompe-l'oeil. Wendie, qui l'a harcelé et poussé dans cette entreprise, le regarde faire avant de l'aider à retirer les planches les plus petites. C'est un travail long et laborieux. Son père transpire à grosses gouttes qui font ploc-ploc sur le parquet sombre. Toute l'eau de son corps s'est enfuie à la fin de la journée.

Wendie observe les panneaux retirés à côté des outils. Les clous sont solidement fichés dedans, et maintenant il y a des trous un peu partout près des fenêtres. Celui qui les a mis au départ ne voulait vraiment pas qu'on les enlève.

La lumière rentre à présent. Elle balaie la pièce en raies claires qui font miroiter les couleurs hypnotiques de la piscine. Elles enchantent Wendie, qui se penche pour toucher du bout des doigts l'exquise mosaïque. Elle est enfin libre. Sans en connaître exactement la raison, Wendie sait que ce geste était essentiel à son plan. Il fallait que la lumière rentre. Mais en vérité, il ne s'agissait pas tant du jour que de la nuit.



Un soir, peu de temps après, Wendie décide de rester dans la salle au trompe-l'oeil, la piscine en papier dans les mains. Installée dans un fauteuil aux accoudoirs dorés, rembourré de plumes et tissé de décors d'animaux du moyen-âge, elle s'assoupit au milieu de la nuit. Puis, à demi ensommeillée, des bruits d'eau bercent ses oreilles. Cela l'alerte.

Le trompe-l'oeil est intact. Rien n'a bougé, si ce n'est le papier dans ses mains, qui goutte sur le sol. Wendie perçoit les canalisations vrombir dans les murs, signe qu'une salle de bain est au travail. À cette heure ? Ce n'est même pas étonnant : ces salles ont sans cesse l'air de servir. Comme au premier jour, il y stagne toujours de la buée et des flaques d'eau. Parfois même, ils retrouvent les robinets ouverts et l'eau qui déborde.

Wendie en a assez. Il faut qu'elle tente quelque chose, n'importe quoi.

Elle s'empare d'un vase sur une petite table dont les fleurs ont commencé à faner. La mère de Wendie ne vient dans cette pièce que pour changer l'eau des plantes.

Wendie retire les fleurs, déplie la piscine en papier avec minutie, et verse l'eau du vase dessus.

Derrière elle, des bruits d'écoulement se font entendre, plus conséquents que ce qu'engendrerait un simple vase qui se vide. Elle se retourne pour voir que la piscine a adopté un comportement différent. Wendie s'en approche et s'accroupit. Il y a de l'eau à la surface du trompe-l'oeil. Une fine couche glissée dans les interstices de la mosaïque.

Ce n'est pas comme ça que je vais la débloquer. Le papier est vraiment la piscine. Si je le couvre d'eau, ça se reproduit.

Mais ce que veut Wendie, c'est que l'eau contenue par la piscine se révèle, pas en ajouter.

Tout cela est absurde, songe-t-elle.

Alors elle a une idée. C'est risqué, mais bizarrement, elle est convaincue que cela va produire quelque chose. Elle s'assied en tailleur au milieu de la piscine.

Wendie commence à déchirer le papier.   

Paper Pool / La Piscine en PapierWhere stories live. Discover now