Paper Pool / La Piscine en Papier

La piscine en papier

Le lendemain, Wendie file directement vers le papier et le détache de son perchoir, attentive à ses gestes. Il est sec. Elle profite d'être près de la fenêtre pour regarder les couleurs vives du dessin. C'est bien la piscine du rez-de-chaussée, pas de doute là-dessus. Même plongeoir, même escalier, même eau bleue. Wendie est impressionnée de constater qu'en quelques coups de peinture bien placés, l'artiste a rendu l'aspect vivant de la piscine. Elle parait même plus vivante que la mosaïque d'en bas.

Quand Wendie retourne le carton pour regarder s'il n'y a pas de nom derrière, une succession de gouttes d'eau tombe sur ses pieds nus. Surprise, elle se penche puis inspecte le papier, le palpe de ses mains. Il est parfaitement sec. Elle le retourne encore en le mettant à hauteur de ses yeux. La piscine recommence à goutter sur le parquet de sa chambre. Wendie n'en revient pas. Elle le remet à l'endroit, la piscine s'arrête. Elle le retourne, ça recommence. Il y a de plus en plus d'eau par terre.

Wendie s'asseoit près de la fenêtre pour observer de plus près la piscine en papier, mais tout de suite sa mère l'appelle pour qu'elle vienne prendre un petit-déjeuner. Il faut absolument qu'elle le dise à Matt. Wendie range la piscine dans sa poche et descend dans les couloirs changeants de la maison.

Deux jours plus tard, elle retrouve la piscine en trompe l'oeil au même endroit de la maison. Le désir de nager dans ces eaux bizarres la submerge quand elle entre dans la large salle. Au beau milieu de l'obscurité calfeutrée rendue par les murs sombres, la piscine ressort plus vive et magnifique encore. Ses teintes évoquent une mer du sud piégée entre quatre murs. Chaque carré a une couleur subtilement différente, mélange d'aigue-marines, d'azurs vifs et de verts d'eau délicats, cobalt et lapis-lazuli sur les bords. Un décor merveilleux. Pourquoi l'avoir enfermée dans une pièce sans lumière ? Il faut qu'elle pense à demander à ses parents de retirer les panneaux de bois qui bloquent les fenêtres du fond. Ce n'est pas faute d'avoir essayé de les retirer elle-même. La construction est solide : celui qui les a mis là ne voulait pas que ça cède.

Wendie commence à marcher sur la piscine. Elle sort simultanément le contenu de sa poche de pantalon, puis déplie le rectangle de papier et le pose par terre, au milieu de la gigantesque mosaïque turquoise. Elle craint, avec une appréhension étrange et palpitante, que le sol s'ouvre sous elle en marchant ici. Elle l'espère, en réalité, qu'un jour elle va revoir ce qu'elle jurait avoir vu lors de la découverte de cette pièce : une piscine bien réelle, à l'eau luisante et profonde. Elle espère y tomber d'une seconde à l'autre. Pourtant, elle prend garde à ses pas en marchant dessus.

Cette mosaïque lui apparait comme une énigme insoluble. Elle est convaincue que le papier et elle marchent ensemble pour creuser la réalité.

Il y a une piscine réelle ici, quelque part. Wendie a fait son devoir de débloquer son existence.