Exposition à la maison

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Matt est reparti dans l'autre sens, en direction de l'entrée. Mais rien n'est comme avant. Si quelques pièces sont restées en place, dont les salles de bains bizarres, tout le reste s'est recomposé quand ils avaient le dos tourné. Des portes et des pièces sont apparues là où il y avait des murs couverts de tableaux anciens, des meubles dans les couloirs qui étaient vides et dont la largeur s'est dilatée. La maison n'arrête pas de se renouveler, ils découvrent à chaque fois de nouvelles choses. C'est merveilleux.

Wendie s'arrête un instant devant la porte d'une des salles d'eau qu'ils ont ouvertes plus tôt. Quand elle jette un coup d'oeil dedans, elle s'aperçoit qu'il s'agit d'une des rares pièces qui n'a pas changé. Excepté que devant l'entrée, sur le mur couvert de papier peint vert, une petite tête de dauphin ressort comme s'il s'agissait de la surface de l'eau. Cette décoration détonne tant avec le reste du couloir que Wendie la prend immédiatement en sympathie.

Tout de suite, Matt l'appelle. Il a manifestement découvert quelque chose qui lui plait. Quand elle arrive au niveau de son ami, Wendie s'étonne encore davantage de la surprise concoctée par la maison.

Devant eux, après un grand arche creusé dans le mur, une salle d'exposition s'étend jusque très loin dans le ventre de la demeure. D'ici ils aperçoivent des vitrines, des présentoirs de velours, des tableaux auréolés de lumières, des socles sur des tables couvertes de draps sombres, et des objets impossibles à identifier.

Même alors qu'ils entrent, qu'ils examinent chacun d'entre eux avec attention, ils peinent à convenir de ce dont il s'agit vraiment. Mais le plus troublant pour Wendie, ce sont les gens qui vont et viennent dans les deux allées latérales de la grande salle. Cette partie de la maison est-elle ouverte au public ? Matt n'a pas l'air troublé outre-mesure. Elle décide de laisser ça dans un coin de sa tête en attendant de demander à ses parents pourquoi des étrangers visitent cette pièce de la maison comme s'il s'agissait d'un musée.

Il est vrai, cependant, que cette partie est à s'y méprendre comme celle d'un musée. Les artefacts présentés sont tous différents et pour la plupart pleins de couleurs surprenantes. Certains sont des objets qui ont été utilisés et fabriqués pour le tournage d'un film fameux de magiciens, comme il est noté sur les petits écritaux en-dessous. Certains paraissent si authentiques que Wendie se demande si elle ne pourrait pas réellement faire de la magie en les manipulant dans sa chambre. Après tout, elle est chez elle, ces choses lui appartiennent, n'est-ce pas ? Il y a des costumes dans des cages de verre, en suspension sur des tables hautes. Un récipient large rempli de fioles au contenu rose rêveur attire son attention. Le liquide à l'intérieur brille tellement qu'il est forcément chimique. Sur les bouteilles individuelles, il est écrit en lettres calligraphiées : « Philtre d'amour ». De l'autre côté, il y a une sphère mystérieuse à la paroi gravée de symboles bizarres, pleine de sillons et d'arêtes fascinantes. Elle parait ridiculement compliquée, mais à quoi peut-elle bien servir ? Simple objet décoratif, se dit Wendie en poursuivant sa route.

Une pensée contrariante lui traverse l'esprit. Cette pièce allait-elle disparaître comme les autres ?



Ce soir-là, dans sa nouvelle chambre, Wendie prend le temps de suspendre avec des pinces à linge le précieux papier trouvé dans la salle de la piscine à une guirlande qu'elle vient d'installer près de la fenêtre. Il est toujours un peu humide, mais une nuit passée près des courants d'air devrait finir de le sécher.

Il y a encore tellement à découvrir dans sa nouvelle maison. Elle ignore si elle pourra réussir à se sentir chez elle, avec toutes ces pièces qui s'intervertissent sans prévenir, ces passages dérobés et ces salles trop chics pour être honnêtes. Et toutes ces salles de bain bizarres qu'il y a partout... Pourquoi autant ? Il y en a presque autant que le reste des salles combinées. Pourquoi aussi différentes du reste, aussi étroites et sordides ?

Wendie se met au lit en songeant aux bizarreries de la maison. Les constructions dans les toilettes, dans les douches sales qui régnent partout. Les seules pièces qui ne bougent pas de place, il semblerait. Et la piscine. La piscine...

Elle s'endort en pensant aux reflets de l'eau qu'elle avait vu en entrant dans la pièce. La désillusion étrange de s'aperçevoir qu'il n'y avait pas d'eau, pas de profondeur.

Mais c'est là qu'elle avait été trompée. Il y a une piscine dans cette salle, une vraie piscine, et Wendie le sait.   

Paper Pool / La Piscine en PapierWhere stories live. Discover now