Chapitre 41

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Je ressors de la chaumière confuse, en ayant presque tout oublié de ma discussion avec la vieille femme, si ce n'est deux petits mots qui résonnent inlassablement dans mon esprit : « L'héritier ».

Quel héritier ? ne puis-je m'empêcher de me demander. Et pourtant je sais indubitablement qu'il n'y en a qu'un. Celui dont m'a parlé Théo tout à l'heure, celui dont j'ai pris connaissance du surnom le soir du bal.

Danny. Je n'aime pas ce surnom, en plus, il me fait penser à ceux qu'on donne dans des séries « amour en carton, roses et jolies déclarations » typiquement américaines.

Danny. Je ne sais même pas à quoi il ressemble ! Et en plus je le déteste déjà ! Comment peut-on aimer quelqu'un qu'on déteste avant même de connaitre ?

« Même si au début on les trouve nuls, on peut facilement s'habituer à leurs défauts. »

Cette phrase d'Evelyne vient violemment percuter ma tête.

Non. Je rêve. C'est pas possible là...

Et pourtant... 

Ce sont des conneries. Elle m'a raconté des salades...

Si seulement ce pouvait être vrai.

De tous les mots précieux prononcés par Evelyne, je n'en retiendrai que deux. Révulsant et insensés.

Mon ventre se met à gargouiller, normal, je n'ai rien avalé à midi et j'ai omis de demander un petit gâteau étoile à Evelyne. Je reprends donc ma route dans l'espoir de trouver de quoi me nourrir.

Je traverse d'étroites ruelles qui me sont familières sans intercepter la moindre odeur, si ce n'est celle des quelques fleurs dépassant des balcons. Je croise une poignée d'enfants mal vêtus qui ont l'air de jouer à trappe-trappe. L'un deux est pleins de terre, un autre a une trace noire sur la joue. Celui-ci me dévisage de son petit regard innocent, nous essayons chacun de comprendre ce qu'il se passe sans y parvenir. Au final un de ses amis l'interpelle et ils repartent tous en courant. Ils sont italiens, me dis-je en essayant de saisir les paroles de l'enfant.

Les maisons n'ont plus tout à fait la même architecture, les couleurs sont plus fades... J'ai comme une impression de déjà-vu. Je m'avance vers le coin d'une rue sombre, par-dessus lequel un escalier relie les deux parties d'une habitation. Ce n'est pas la première fois que je viens ici, je reconnais cet endroit, pourtant quelque chose a changé. On dirait qu'il manque l'essentiel, ce qui donnait vie à ce recoin. En m'agenouillant j'aperçois des traces de peintures, il y en a de toutes les couleurs. Je les suis comme si elles allaient me mener à la clef du mystère. Soudain je tombe sur une tâche bien plus large que les autres. C'est du rouge, un rouge-marron étrange. C'est bizarre parce qu'il n'a pas la même texture que les autres couleurs, on dirait que celles-ci n'ont pas vraiment d'importance, au lieu que le rouge, lui, est tout simplement une réponse. La réponse. La clef. Je plisse attentivement les yeux. Ce rouge... Qu'est-ce que ça pourrait bien être ?

La solution de l'énigme me vient, elle parait évidente.

« Oh mon dieu ! Mais c'est du sang ! »

Je me mets à hurler, intérieurement, extérieurement, en fait je ne sais pas vraiment parce que je ne rends même plus compte de ce que je fais.

De chaudes larmes s'écoulent inlassablement le long de mon visage. Je suis en panique totale, mon corps entier tremble, tressaute, frissonne. J'ai froid ou je brûle, ou peut-être les deux en même temps.

Quelle horreur ! Qu'est-ce qu'il s'est passé ?!

Mon esprit tambourine sur mon crâne tandis que ma mémoire martèle ma tête, si elle avait pu parler, elle lui aurait dit : « Vas-y ! Vas-y ! dis-lui ! »

Mais qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce que je dois savoir ?

Qu'est-ce que je sais déjà ? Qu'est-ce qu'on m'a fait oublier ?...

- Miss ? Miss how are you ?

Je me retourne brusquement vers la petite blonde qui m'a parlé. Elle est plantée devant les marches de sa maison, se dandinant sur elle-même, mal à l'aise. Il n'y a que nous deux. Je me ressaisis en tentant de sécher mes larmes.

- I'm fine.

Elle n'a pas l'air très convaincu, mais ma réponse lui suffit néanmoins et elle rentre chez elle après m'avoir lancé un bref « coucou » de la main.

Je me relève et mes yeux surprennent une nouvelle fois la tâche de sang. Elle parait plus petite. « C'est bon, elle m'a vue, j'ai rempli ma mission. A présent je peux disparaitre. »

Ainsi je quitte les lieux d'un crime auquel j'ai sûrement assisté, mais dont j'ai oublié qui a été la victime.


Tuer. S'emparer de la vie de quelqu'un. Lui ôter son âme. Transpercer son cœur. Y-a-t-il un geste plus pur que celui-ci ? La mort est un évènement, une phase, un portail et l'inconnu. Chacun à sa vision, ses peurs, ses rêves et ses cauchemars. La faucheuse arbore toutes les apparences, même celles de la transparence, de l'absence et de la non-existence. La mort est le fruit de l'imagination de sept milliards d'humains qui la forgent à leur image. Alors mourir, c'est peut-être l'aboutissement de nos pensées, et provoquer la mort... c'est être trop curieux, lâche et peureux pour attendre son tour et la voir de ses propres yeux. Alors on la contemple à travers les yeux d'un autre, des yeux vides et dénués d'expression, des yeux sans vie, des yeux délaissés par une âme qui s'en est allée. La mort nous fait peur et pourtant bon nombre d'entre nous aimerait faire sa connaissance ou juste l'apercevoir, de derrière une porte entrouverte.

Après tout, quoi de plus humain que de tuer ? Tuer avant de mourir et de prendre le risque de ne jamais avoir la réponse à un mystère, peut-être sans réponse justement, qui nous obsède toute notre vie.

L'Homme a deux côtés, un blanc et un noir, qui font de lui un être gris. Tuer, n'est-ce pas le reflet de la partie sombre humaine ?

Tuer avant qu'un autre ne le fasse. C'est une chasse à l'Homme et un compte à rebours.

La vie est faite de façon à ce qu'on meurt.

La vie, la mort, deux ennemies ou bien deux amies ?

Ombre & Lumière Tome 1Where stories live. Discover now