Chapitre 39

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Je jette un coup d'œil vers la vue que m'offre ma fenêtre. Le soleil à son zénith illumine tous les recoins de la ville comble en ce lendemain de bal. Les anges se pressent dehors dans l'espoir d'avoir quelques potins à se mettre sous la dent. C'est une agitation positive, tout le monde s'empresse à droite à gauche, les enfants se faufilent entre les grands et chacun trouve une occupation.

  C'est l'été.


                  

Hier était un jour merveilleux. Si merveilleux que d'y penser m'excite trop pour que je puisse me concentrer pour le raconter. Alors je me contenterai de dire que ce bal m'a changé, et tellement bouleversée que j'ai du mal à m'en rappeler. Je me souviens juste avoir dansé comme jamais. En vérité je ne dansais pas vraiment, je « valsais dans les nuages » comme une ballerine avec des ailes, ou comme un coquelicot qui voltige, emporté par le vent. Je suppose qu'il est difficile pour vous de vous imaginer de quoi ça avait l'air, alors, tentez juste de voir une robe rouge sang aux dentelles tranchantes qui se mêle aux autres couleurs telle de la peinture qu'on mélange sur un fond incolore. Est-ce le « fond incolore » qui vous dérange ? Pourtant ce n'est rien.

  Entendez maintenant le son. C'est plus exactement un brouhaha où s'assemblent musiques qui vous font voyager, bruits de pas, cris et éclats de joie, bribes de discussions – portant parfois sur vous – que vous ne parviendrez jamais à saisir complètement, et qui vous reviendront donc sous forme de fond sonore, lors de rêves ou cauchemars, et cette fois-ci, ils prendront un sens que vous oublierez dès votre réveil mais dont vous garderez un très mauvais souvenir.

  A présent, sentez. Sentez les parfums des uns et des autres, les odeurs des petits plats... Sentez toutes ces choses presque insignifiantes jusqu'à ce que vous tombiez sur une odeur qui vous rappelle un souvenir envolé. Il y a des odeurs qui font retrouver la mémoire et revivre des moments passés. Nous oublions facilement les odeurs, mais quand elles nous reviennent nous nous en rappelons, sans pour autant savoir à quoi elles correspondaient autrefois. Le parfum de quelqu'un – votre maître d'école, par exemple ? D'un magasin – comme Nature & Découverte ? D'une maison ? D'une voiture ? D'un endroit, tout simplement, d'une forêt à un manoir, d'une rivière à une odeur de terre mouillée...

  Et puis, au beau milieu de tout ça, une odeur de brûlé. Mais bien entendu, comme toutes les odeurs, elle s'évapore avant que je puisse trouver sa source.

  On finit par l'oublier. Les odeurs ne sont pas comme les images, notre esprit ne peut se les remémorer. On ne retrouve pas une odeur, elle vient à nous.

  Voici les détails dont je me souviens. Bien entendu il y a ce baiser sur la terrasse...

  Je pense que le reste me reviendra plus tard, lorsque la dopamine sera un peu redescendue... Bien entendu je suis consciente qu'une fois ceci fait, je me retrouverai dans un état de manque, et j'en revoudrai encore... Mais ça, je crois que ce n'est plus un problème.


  Je retrouve Théo une demi-heure plus tard dans un restaurant aux allures raffinées situé dans une avenue ensoleillée. Il m'attend sur la terrasse, en me voyant il se lève et tire une chaise pour que je m'y asseye, toujours avec classe et délicatesse. On me prend trop pour ce que je ne suis pas. Je ne suis qu'une lycéenne anodine et ici on se comporte avec moi comme si j'étais une princesse. Je ne devrais pas m'en plaindre et pourtant ça m'agace. Etant à la recherche – qui n'aboutira jamais – de moi-même, ça serait plus simple que le regard que les gens portent sur moi se rapproche de la réalité – ma réalité – et non une irréelle vérité.

Ombre & Lumière Tome 1Where stories live. Discover now