Chapitre 33

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Ça y est. Le jour-j est arrivé. Nous sommes le 21 juin. Cette nuit sera longue. Assez pour me laisser le temps de danser. Danser pour essayer d'oublier mon monde, pour me perdre, pour me projeter quelques heures dans la vie d'un ange. J'en suis capable. Alors je le ferai. Je tenterai de mettre au placard ma famille, mon village, mes anciennes connaissances et mes souvenirs. De toute façon il faudra bien qu'à un moment j'accepte l'idée de ne plus jamais les revoir. L'époque où je vivais sur Terre est révolue. A présent je suis au Paradis et il faut que je sois forte. Il faut que je me fonde dans la masse. Il faut que j'essaie de m'effacer. Je dois cesser de me faire remarquer. Je dois me montrer exemplaire. Je dois obéir. Et peut-être qu'à partir de ce moment-là le Conseil se laissera amadouer et commencera à m'accorder sa confiance. Ce n'est que quand cela sera fait que je pourrai laisser libre court à mon imagination et pouvoir me permettre de garder dans un creux de ma tête le petit espoir qu'un beau jour les choses redeviendront comme avant. Je relâcherai la pression et je m'autoriserai à penser comme bon me semble.

Mais pour l'instant il faut que je sois forte. C'est la seule solution. Etre forte pour endurer tout ça. Avoir de la patience. Attendre que le plus dur passe et se dire que bientôt ça ira mieux.

Ce soir je compte donc me rendre au bal en étant libéré de tout poids. Plus de scénario pathétique. Du moins le temps d'une soirée.

Je vais y arriver. J'en suis sûre. Mais la vérité c'est que j'ai peur que si je me laisse trop aller je n'arrive plus à redevenir moi-même. J'ai peur de tomber dans leur piège. J'ai peur de devenir comme eux, les anges. Un coup je les admire et un coup je les déteste. Parce qu'ils ne sont pas comme moi. Parce qu'ils sont étrangers. Mais au final tout ça n'a plus aucun sens. Car c'est moi qui suis devenue étrangère. Qui plus est dans un lieu qui m'est lui aussi parfaitement inconnu. En fait c'est la peur qui me rend comme ça. Par « comme ça » j'entends : conne, ridicule, imbécile, fermée, stupide, piteuse, pauvre fille.

Le plus triste dans tout ça, c'est que non seulement je dis du mal des autres, mais j'en dis aussi de moi. Est-ce qu'un jour je parviendrai à me contenter de quelque chose ? Je l'ignore. Alors je me rendrai au bal dans l'espoir d'y être différente, mais de redevenir cette fille que je critique tant ensuite. Car cette fille c'est moi. Et que malgré tout ce qu'on pourrait croire, je ne l'échangerais pour rien au monde. Je m'aime trop pour ça. Et si un jour des gens parviennent à m'aimer, ce sera telle que je suis. Rien que pour leur donner du fil à retordre. Rien que pour les faire craquer. Pour que la plupart regrettent leur choix, mais que les vrais, ceux qui m'aiment vraiment, soient sûrs qu'ils ont pris la bonne décision et sachent que quand je le veux bien, j'en vaux la peine.

Alors ce soir, je le répète encore, je me rendrai au bal en étant la fille qu'on me demande d'être. Mais sous cette carapace je serai celle que j'ai toujours été. Cette personne que je n'ai jamais réussi à cerner et que nul ne connait. Am, cette fille qui se perd soi-même, et que j'espère juste ne pas semer en chemin.


Je me dirige à pas lents vers l'armoire dans laquelle est rangée ma robe. Il est 11 heures. J'ai tout mon temps. Lahela m'a dit qu'elle ne viendrait pas me voir aujourd'hui. Je compte donc passer ma journée toute seule dans ma chambre. Car j'en ai bien besoin si je veux être prête pour ce soir. Non que je veuille la coiffure de Marie-Antoinette, loin de là. Le temps me servira à réfléchir. A penser. A me souvenir.

J'admire un long moment ce que je m'apprête à porter pour la soirée qui sera peut-être la plus exceptionnelle de ma vie. J'ai de la chance, quand même. Je n'aurais jamais connu d'aussi belles choses sur Terre. Des rubis ? Qui aurait cru que j'en porterais un jour ?

Ombre & Lumière Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant