Dans son fauteuil en cuir, les yeux fixés sur moi, elle s'empressait de noter chacune de mes réactions comme à chaque nouvelle séance, en vain. Je pris négligemment la chaise en bois et m'affalai dessus.

"Bonjour Richard, comment trouves-tu la nouvelle surveillante ?

-J'm'en fiche un peu. Je suis pas là pour les nanas comme elle.

-Et de quoi, ne te fiches-tu pas ? demanda-t-elle l'air vraiment intéressée.

-De ma sortie par exemple, la raillai-je.

-Tu me fais mal Richard, pourquoi vouloir déjà me quitter ?

-Je pense que ces trois ans sont suffisants non ?

-Tout dépend de quel côté du bureau tu te trouves."

Je me levai alors, doucement afin qu'elle n'appelle pas les gardes postés derrière la porte, fit rouler sa chaise à roulettes jusque là où j'étais assis précédemment et retournai m'asseoir là où elle me recevait depuis mille quatre-vingt quinze jours.

"Vous avez tord, rien ne change.

-Pensez vous vraiment que cela était ce que je voulais dire ?

-Non, mais vous me cachez vos pensées, susurai-je à son oreille avant de donner quelques coups dans la porte, signe que l'entretien était terminé."


On me raccompagna dans ma cellule, j'aperçus au fond du couloir un dénommé "Bill" sortir de sa cabine en courant, si bien que la jeune femme qui était seule pour me remettre dans ma cellule, se hâta de refermer la porte avant de courir à toute allure vers le fugitif. Le bruit, bien que trop connu du taser résonna dans le couloir désormais silencieux. Elle sembla le remmener dans sa chambre avant de crier, devant nous :

"Le prochain qui l'ouvre, qui tente de s'évader ou qui a un contact illégal avec l'extérieur, vous subirez la même sanction. Ceci est à prendre à titre d'avertissement."

Sur ces derniers mots, son visage se détendit, ses sourcils se défroncèrent et elle recommença à faire tourner ses clés autour de son index comme une provocation. Décidément, elle me plaisait bien.

Les jours suivants furent en beaucoup de points identiques exception faite des quelques coups de taser que certains avaient subis.


Je déambulai encore dans le couloir jusque l'habituelle porte bleue. Madame Scott semblait nerveuse, elle tordait ses mains, mordait sa lèvre inférieure et fixait le sol. Cela ne lui ressemblait affreusement pas. Elle évitait mon regard et alors que j'avais été muet lors des dernières séances, je lui dis :

"Vous savez, j'ai réfléchi à ce que vous m'avez dit la dernière fois, cette histoire de prendre la place l'un de l'autre. Alors je vous écoute Madame, qu'est ce qui vous ronge de l'intérieur au point d'agir de la sorte ?"

J'avais repris intentionnellement la même question qu'elle m'avait posé lors de notre rencontre, elle semblait confuse face à mon changement de tactique. Elle me connaissait mieux que quiconque ici et savait que je ne faisais pas ça sans but précis. Elle hésita un peu avant de dire :

"On m'a annoncé qu'une nouvelle détenue dangereuse allait arriver or, il n'y a plus de place ici.

-Et pourquoi ne la dirige-t-on pas vers un autre établissement selon vous ?"

J'étais méthodique, je réfléchissais au sens de chacune de mes paroles, à leur portée et leurs conséquences. J'analysai ses réponses mot à mot, déduisant l'implicite caché sous des tournures de phrases douteuses. Mais surtout, je voulais lui trouver une solution.

"Gary m'a annoncé qu'il sortait bientôt, sa place sera ainsi libre non ?

-Comme je t'ai dit Richard, elle est dangereuse, elle a besoin d'être seule dans sa cellule l'inverse serait trop irréfléchi."

Mes méninges tournaient à plein régime. Une fille dangereuse, aucune cellule vide, une responsabilité importante sur les épaules de la psychologue qui m'avait annoncé avoir été promu directrice quelques semaines auparavant.

"Mettez là dans ma cellule, je vous ferais une lettre selon laquelle je prend toutes mes responsabilités s'il arrive quelque chose.

- Je ne sais pas Richard, vous êtes encore assez instable mais votre état semble en amélioration. Êtes-vous sur que vous le voulez ?

- Je ne propose jamais rien sans y réfléchir vous le savez bien.

-Bien alors, nous ferons ainsi. Je compte sur toi pour lui faire aucun mal et lui faire intégrer les règles fondamentales de l'univers carcéral.

-Dans ce cas, il n'y a aucun soucis.

- Bien retourne dans ta cellule, essaie de l'arranger un peu et sois gentil surtout. Merci Richard. L'établissement saura se le rappeler en temps voulu."

Je sortis d'ici, comprenant que l'engrenage était lancé et qu'il n'était plus utile de rester. Je demandai un peu de javel pour récurer la chambre, que je payai grâce aux cinq derniers jours que j'avais passé à la plonge. Ici, pour survivre, nous devions acheter tout, les détergents pour nos cellules, les lessives pour les draps, l'accès à la télévision, aux magasines, aux jeux vidéos. Seul le repas était gratuit mais pour ce qu'il nous servait, il pouvait.


***

Voilà le premier chapitre, assez simple, il plante le décor. Qu'en pensez vous ?

Prochain chapitre : Vendredi

On this side of the barsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant