Partie 1 - Prières sur les ruines de l'ancien monde - Chapitre 2

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— Alice, appela-t-il tout bas.

Il lui tapota les joues, et elle battit des paupières avant de le dévisager.

— Aymeric ?

Alice s'assit avec difficulté et, tout en maugréant, porta sa main mécanique à son front. D'étranges images continuaient de tourbillonner dans son esprit. Elle se sentait bien, légère, aérienne. Elle n'ignorait pas que ces sensations grisantes étaient purement artificielles, mais la tentation d'y plonger pour oublier la souffrance qui lui rongeait constamment le corps était grande. Elle aurait pu s'allonger à nouveau. La drogue l'emmènerait dans un univers de félicité, la libérerait enfin des cauchemars qui hantaient chacune de ses nuits depuis l'arrivée des Fomoires. La substance dissoudrait sa haine et atténuerait les douleurs qu'elle croyait toujours percevoir dans le bras et la jambe que les monstres lui avaient pris.

Puis elle se remémora leur accueil dans la chapelle et se courba en deux pour vomir.

— Du sang. Elle nous a fait boire...

Un nouveau haut-le-cœur l'obligea à se pencher pour vider un peu plus son estomac.

— La salope ! Je vais la tuer...

Alice ponctua ses paroles d'un coup de poing dans le matelas. Quoique rassuré de la voir à nouveau combative, Aymeric se redressa en fronçant les sourcils avec sévérité.

— Un peu de patience. Nous n'avons même pas d'armes.

Alice se releva avec un soupir et observa leur environnement avec plus d'attention. Des taches sombres couvraient le matelas, et le sol dallé aurait nécessité un bon coup de détergent.

— Je suppose que se complaire dans la crasse est l'ultime étape avant d'atteindre la Transfiguration, nota Aymeric avec sarcasme.

Alice garda le silence pendant quelques secondes avant de lâcher dans un souffle :

— Ils s'en moquent. Ils les tuent.

— La prêtresse dirait que s'unir aux Fomoires et renaître sous une nouvelle forme est une bien plus belle métaphore.

— Ils les tuent, répéta Alice sans l'écouter. Des milliers d'Éveillés, à peine quelques dizaines de Transfigurés... Où sont les autres ?

Elle referma la main sur son bras artificiel avec une grimace. Son regard se fit absent. Pour quelques secondes, seulement. Le léger grincement des gonds l'amena à effectuer une rapide volte-face. Elle empoigna la nouvelle venue et la plaqua contre le mur sans ménagement. Une lame affûtée jaillit de son avant-bras. Aymeric n'eut que le temps de crier.

— Non !

La pointe de la dague s'arrêta à hauteur de l'œil de l'intruse. Un œil ambré, fendu par une pupille horizontale que la surprise et la terreur avaient un peu plus étrécie.

La mâchoire d'Alice se crispa. Elle éprouvait les plus grandes difficultés à garder son calme. Après avoir pris une profonde inspiration, elle cracha :

— Ne me dis pas que notre contact à l'intérieur, la personne que nous devons exfiltrer, est une Fomoire...

Face au silence éloquent d'Aymeric, elle esquissa une grimace de dégoût.

— Si je te l'avais appris, tu n'aurais jamais accepté de venir, expliqua-t-il enfin.

Alice étouffa un juron entre ses dents. Elle n'était guère surprise qu'Aymeric lui eût menti, car elle le savait manipulateur et dénué de la moindre forme de compassion, comme si son cœur avait été asséché face aux horreurs cachées sous l'idylle que prônait Bres. En toute circonstance, il agissait avec un pragmatisme fortement teinté de cynisme. Pour autant, cela ne signifiait pas qu'elle lui pardonnait de l'avoir trompée. Il connaissait son opinion à propos de ces Fomoires « humanistes » qui se prétendaient leurs alliés : elle ne croyait pas leurs promesses et considérait que leur cellule de résistants n'aurait jamais dû collaborer avec eux.

La princesse aux mille illusions (abandonné)Where stories live. Discover now