Wasn't Expecting That.

Depuis le début
                                    

Le médecin n'avait aucune idée du pronostique.

On a attendu les résultats plus longtemps que d'habitude, et c'est ce qui nous a tous amené à considérer l'éventualité que finalement, la chimio n'avait pas totalement marché. El appelait tous les jours car à ce moment-là, elle avait été obligée d'effectuer un voyage à l'étranger pour sa boite, et Niall et Liam passaient quasiment tous les soirs à la maison afin de prendre des nouvelles.

L'attente a duré six jours. C'est peut-être rien pour vous, mais six jours de doute et d'incertitude vis-à-vis de la santé de la personne qu'on aime, je vous assure que c'est une torture pire encore que tout ce que vous pouvez imaginer. Les minutes deviennent des heures et les heures des jours. Pour moi, Harry allait mieux, mais le passé et la maladie nous avait tellement joué de tours auparavant que je refusais d'espérer autant que d'être fataliste. J'étais entre les deux. Et Harry ne se prononçait pas. Il se contentait de respirer plus fort que d'habitude et d'avoir encore plus de mal à s'endormir que la veille des examens.

Alors quand enfin, le sixième jour, son portable a sonné, on était tous les deux dans le salon, assis sur le canapé à regarder un film d'action. Il l'a attrapé, il était posé sur la table basse, et pensant que c'était Eleanor, il a décroché sans même regarder l'écran.

_Toujours pas, il a donc soupiré pendant que j'appuyais ma joue contre son épaule afin d'être installé plus confortablement.

Seulement ce n'était pas El, et quand ses muscles se sont brusquement tendus et que sa main s'est refermée sur ma jambe en m'arrachant un cri de surprise, j'ai compris.

J'ai compris que les résultats étaient arrivés.

Il est devenu pâle comme la craie et les seules réponses qu'il émettait étaient constituées de monosyllabes qui s'écorchaient les unes à la suite des autres parce qu'il ne respirait plus. Alors j'ai aussitôt posé la main sur son cou, et comme elle était froide, elle l'a fait réagir.

_D'accord, il a fini par dire dans le souffle qu'il avait récupéré avant de raccrocher.

À ce moment-là, je n'ai pas osé parler. J'ai attendu qu'il se calme et que l'étau de ses doigts se desserrent autour de ma cuisse. Puis il a ouvert la bouche, il a tourné les yeux vers moi, et les mots qui sont sortis de sa bouche n'étaient pas ceux que j'attendais.

_Il faut qu'on aille à l'hô –

...

Pardon.

Pardon, j'ai l'impression de revivre le moment en vous le racontant. Je suis désolé, ma voix vacille et je n'ose plus vous regarder en face. Laissez-moi juste trente secondes. Si je respire ça passe. Ça m'est arrivé avant.

Ça va passer. Je vais continuer.

... Ça va aller.

Il m'a donc dis qu'il fallait qu'on aille à l'hôpital, mais pas pour une nouvelle chimio ou parce que son état avait empiré, il fallait juste qu'on aille à l'hôpital pour avoir les résultats.

_Alors tu sais pas, j'ai murmuré en me calmant légèrement.

Il ne savait pas.

_Ils ne veulent rien dire par téléphone.

_Putain.

Aussitôt, un éclat de rire a passé le bout de ses lèvres au moment où mon visage se cachait dans sa nuque, mais je crois que c'était plus du aux nerfs qu'à l'amusement que mon juron avait provoqué.

On n'a pas bougé tout de suite après l'appel, et je pense que la raison en est toute simple : on avait peur. Parce que maintenant qu'on y était et qu'on allait enfin savoir, on avait peur de la réponse. Quoique dans mon cas, le mot peur soit plus un euphémisme qu'autre chose...

La vérité, c'est que j'étais tétanisé. J'avais été fort, j'avais tenté de l'être du moins pendant tellement longtemps, que je n'en pouvais plus. Je crois que je n'aurais pas supporté qu'on me dise que le traitement n'avait pas marché, ça aurait été impossible à surmonter. Pour moi et pour lui.

Alors quand le médecin nous a ramené dans son bureau, le même qu'on avait quitté environ six mois auparavant en emportant avec nous un fardeau qui n'aurait pas du être le nôtre, la petitesse de l'endroit nous a vite fait suffoquer. Les murs étaient toujours trop blancs et l'air toujours trop aseptisé.

Mais le calvaire a vite pris fin.

Les mots « rémission complète » avaient à peine passé le seuil de sa bouche que, pour la première fois depuis des mois, j'ai vu Harry pleurer. Seulement là, ce n'était plus des larmes de tristesse, ce n'étaient plus des larmes de rage ou de dégoût personnel. C'était des larmes de joie. De soulagement.

Et moi aussi j'ai pleuré, inutile de le cacher, ce serait stupide.

Parce que le sentiment que j'ai sentis alors, je crois qu'il est indescriptible. Je vous ai avoué tout à l'heure que l'euphorie qui m'emportait quand je gagnais un match était immense, eh bien cette euphorie, elle n'est rien comparée avec ce que j'ai ressenti là. C'était tellement plus puissant et violent. Dans le bon sens du terme, évidemment. C'était tellement plus important. Parce qu'Harry venait de gagner un match lui aussi ; mais pas n'importe lequel, c'était le match de sa vie.

Enfin... Si. C'est ça. Le match de sa vie c'était celui-ci. Ne faite pas attention à mes divagations. C'était le match de sa vie.
Le match de sa vie.

Après ça, on a décidé de ne pas rentrer à la maison parce qu'on était enfin libres. C'est peut-être un peu maladroit comme terme, mais c'est vraiment comme ça que ça nous semblait. Et cette impression de liberté s'est confirmée quand, pour la première fois depuis longtemps, on a pu se balader dans Hyde Park sans attirer aucun de vous. On était peut-être sous notre bonne étoile, qui sait ?

Quoiqu'il en soit, pendant cette promenade, j'ai repensé à notre histoire et à ce qu'on n'avait pas encore vécu, j'ai repensé à toutes ces choses qu'on n'avait pas faites et qu'on pouvait désormais rêver de faire sans limites et sans contraintes. Sans être pressé par le temps ou la maladie. À ce stade-là de mes réflexions, on était assis dans l'herbe verte à regarder les passants ; il y avait un jeune couple d'adolescents, une petite fille avec son papa, une autre petite fille un peu plus loin, et j'ai aussitôt repensé à ce qu'Harry m'avait dit le matin des examens.

Je me suis donc tourné vers lui dans la seconde et j'ai remarqué que ses yeux étaient posés exactement au même endroit que les miens avaient été auparavant. L'air faisait voler le bout de son bonnet gris, et j'ai souris rien qu'à l'idée que bientôt, il n'en aurait plus besoin.

Alors presque inconsciemment, ma main s'est posée sur la sienne pour attirer son attention.

_D'accord, j'ai simplement dis.

C'était ma réponse.
Et au sourire immense que j'ai vu apparaître sur son visage, j'ai su que ce moment exact de notre vie correspondait autant à la fin d'un chapitre qu'au début d'un autre.

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♥.

Wasn't Expecting That.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant