Wasn't Expecting That.

2.

Toujours est-il qu'avant d'aller m'assoir, il fallait que je traverse de nouveau la patinoire dans toute sa longueur... Alors quand Eleanor m'a abandonné, comme ça, et qu'elle est repartie aussi vite que l'éclair en hochant la tête, je me souviens avoir eu envie de la maudire. J'ai marmonné quelque chose d'insultant dans ma tête, mais en y repensant bien, j'ai dû le dire à voix à haute parce que le papa qui tenait sa petite fille par la main près de moi m'a regardé de manière peu sympathique. C'était celui qui peinait à garder son équilibre. Celui que j'avais remarqué un peu plus tôt en me sentant moins seul.

Sur le moment, je dois avouer que je n'ai pas vraiment compris son regard glacial, mais avec le recul, je pense que c'était ça. Ça ne pouvait être que ça d'ailleurs.
Mais j'ai fait comme si de rien n'était et j'ai posé un pied devant l'autre. Enfin, certains pourront vous dire que j'ai essayé sans grand succès, il y a des témoins. Mais je vous jure que j'ai essayé pourtant.

Mes chevilles s'écorchaient toutes seules contre le plastique bleu et rêche des patins, et quand j'ai relevé les yeux pour regarder droit devant moi, j'ai eu un moment de faiblesse parce que j'ai senti son regard.

Son regard émeraude. Le regard du garçon au clin d'œil.
Le regard de mon miracle.

Ce n'était pas moi qu'il regardait évidemment, même si sa tête était tournée dans ma direction.
Ce qu'il regardait était dans mon dos.

Mais je n'ai eu ni l'habileté ni le temps de me retourner qu'il jetait déjà un nouveau coup d'œil derrière lui. Je ne sais pas si un jour il s'est dit que regarder devant soi, sur une patinoire, ça pouvait aider.

Personnellement, on ne m'y aurait pas prit. Je peinais déjà en ayant les yeux rivés sur la porte de sortie que je visais...

Mais lui, il ne s'en formalisait pas, il patinait comme s'il coursait SpeedMan entre les autres personnes, sans jamais les toucher. Pendant un moment, je me suis demandé s'il savait ralentir un peu. Puis, comme pour illustrer mes paroles, il a frôlé quelqu'un d'un iota et il s'est détourné pour s'excuser, sans efforts ni ralentir, en continuant à patiner à l'envers.

Là, j'ai eu ma réponse et je me suis réellement demandé s'il était fou. Mais je n'ai pas eu le temps de penser à cette réflexion pleine de sens parce que lorsque j'ai croisé ses iris, même d'aussi loin, ça a recommencé. Le cœur qui déraille, les réflexes stupides et l'impossibilité de bouger.

Notez le bien, les réflexes stupides et l'impossibilité de bouger. Ce n'est pas un mythe. C'est réel. Et c'est arrivé.

Il me regardait et il était encore en train de faire le fou-As-de-la-glace : il s'amusait à déraper dans des gestes maitrisés qui envoyaient voler un peu de glace. Il était toujours mort de rire.

Il rigolait et moi, comme un idiot, j'ai continué à patiner maladroitement sans plus faire attention à ce que je faisais. Alors fatalement, est arrivé ce qui devait arriver :

J'ai entendu un énorme « Attention ! » et je n'ai eu le temps de ne rien enregistrer d'autre : j'ai à peine pu tourner la tête sur le coté que je perdais déjà tout équilibre.

J'étais par terre.

Par terre, trempé, et cassé. J'avais l'impression qu'un poids lourd m'avait roulé dessus à pleine vitesse alors j'ai grogné. Gémis serait plus exact, en fait. Mais ne l'écrivez pas, ce n'est pas important.

Par contre, quand j'ai essayé de me redresser, sans succès parce que ma tête s'est mise à tourner, j'ai pris conscience qu'en acceptant de venir ici avec El, je n'allais récolter qu'une engueulade par l'entraineur le lendemain. Je ne pourrais pas courir.