ana

Silencieuse

Aujourd'hui, un garçon - Mathieu, je crois, est venu voir Ana.

Elle était avec Cassie, elles se parlaient en silence. Elles étaient assises au milieu de la cour, car Ana ne voyait pas pourquoi personne ne se mettait là au lieu de s'entasser sur les bancs comme des pigeons sur un fil électrique - ce sont ses propres mots. Ana n'aime pas les pigeons ; mais pardon, je divague.

Elles étaient assises, elles se parlaient en silence : échange de regards d'une telle intensité que Mathieu s'en trouva intimidé. Yeux glace, yeux châtaigne, entrecroisement de volonté, de tendresse. Mots à demi cachés, mots à demi voilés, pas même murmurés, mais mots tout de même. Mots poison, mots amour, mots guérisseurs, mots créateurs de maux. Des mots, encore des mots ; et Mathieu, qui n'était pourtant pas une perle en français, saisissait leur portée : elle était infinie.

Cassie et Ana s'aimaient ; ça se voyait, ça se sentait : ça flottait presque autour d'elles, comme une bulle d'affection qui les enveloppait, les isolant du monde. Quel type d'amour, ça, je n'en sais rien : Ana n'aime pas enfermer l'amour dans des catégories ; l'amour n'est-il pas censé être libre ? Alors, fraternel, amical, amoureux, filial, peut importait la nature de ce sentiment : Ana et Cassie avaient besoin l'une de l'autre pour survivre, pour respirer, elles s'aimaient.

Mathieu, par l'instinct qui le caractérisait si bien, sentit cet amour, il le sentit tant et si bien qu'il en fut bouleversé. Il voulut parler, y renonça soudain : qui suis-je, se dit-il, qui suis-je pour briser ce moment ? Pour briser ce silence si parlant ? Personne, voilà, je ne suis personne pour faire cela, alors je vais me retirer, doucement, sans bruit, elles ne me verront pas, et elles continueront à s'aimer en paix.

Alors Mathieu se retira, retourna avec ses amis à lui, fit comme si de rien n'était, mais, en secret, il pensait aux deux jeunes filles qui s'aimaient si fort, et il en fut impressionné. 

i n s t i n c t  d ' a m o u r  i n s t i n c t  d e  p a i x  e t  s i l e n c e  p a r l a n t